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présenta à Mahtoree, qui, avec une humilité affectée, la passa à un chef à tête grise qui était auprès de lui. Après que la pipe eut passé de bouche en bouche, il se fit un long silence, comme si personne ne se jugeait digne de le rompre le premier, ou que plutôt chacun fut occupé à réfléchir profondément sur les questions qui leur étaient soumises. Enfin un vieil Indien se leva, et parla en ces termes :

— L’aigle, à la chute de la rivière sans fin, était dans son œuf, bien des neiges après que ma main avait déjà frappé un Pawnie. Ce que ma langue dit mes yeux l’ont vu. Bohrechina est très-vieux. Les rochers restent debout à leur place depuis plus de temps qu’il n’est dans sa tribu, et les rivières étaient pleines et vides avant qu’il vînt au monde ; mais quel est le Sioux qui le sait, si ce n’est lui ? Ce qu’il va dire ses frères l’entendront. Si quelqu’une de ses paroles tombe à terre, ils la ramasseront et la porteront jusqu’à leurs oreilles ; si le vent en emporte quelques-unes, mes jeunes guerriers, qui sont très-agiles, les saisiront au passage. Maintenant écoutez. Depuis que l’eau coule et que les arbres croissent, le Sioux a toujours trouvé le Pawnie sur le sentier de la guerre. De même que le couguar aime la gazelle, le Dahcotah aime son ennemi. Lorsque le loup trouve le faon, se couche-t-il pour dormir ? Quand la panthère voit le daim, ferme-t-elle les yeux ? Vous savez qu’elle ne le fait pas. Un Sioux est une panthère bondissante, un Pawnie est un daim tremblant. Que mes enfants n’écoutent : ils trouveront mes paroles bonnes. J’ai parlé.

Des acclamations gutturales s’échappèrent en signe d’assentiment des lèvres de tous les partisans de Mahtoree, en entendant cet avis sanguinaire donné par un Indien qui était certainement l’un des guerriers les plus âgés de la nation. Ses allusions, ses métaphores avaient satisfait cet amour enraciné de vengeance qui formait un des traits distinctifs de leur caractère, et le chef lui-même augura favorablement du succès de ses desseins en voyant le grand nombre de sauvages qui se rangeaient hautement de l’opinion de son ami. Cependant il s’en fallait de beaucoup que l’assentiment fût unanime.

Une pause longue et solennelle suivit ce discours, afin que chacun pût en peser mûrement la sagesse avant qu’un autre chef entreprît de le réfuter. Le second orateur, quoiqu’il ne fût plus au printemps de sa vie, était beaucoup moins âgé que celui auquel il succédait. Il sentit le désavantage qui résultait pour lui de cette