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rêta longtemps et sembla de nouveau oppressée. Mais il paraîtrait que la résolution qu’elle avait une fois prise était trop forte pour céder à l’influence des sentiments même les plus naturels. Rassemblant tout son courage, elle prit son enfant et le déposa aux pieds de son innocente rivale. Ce fut pour le coup qu’elle put regarder son sacrifice comme consommé ; l’infortunée venait de donner plus que sa vie.

Pendant qu’Inez et Hélène suivaient des yeux tous les mouvements de la jeune Indienne avec un muet étonnement, une voix douce et mélodieuse retentit à leurs oreilles, disant dans une langue qui pour elles était inintelligible :

— Une voix étrangère apprendra à mon enfant la manière de devenir homme. Il entendra des sons qui seront nouveaux pour lui ; mais il les retiendra, et il oubliera la voix de sa mère. C’est la volonté du Whacondah, et une jeune fille sioux ne doit pas se plaindre. Parlez-lui doucement, car ses oreilles sont bien petites ; quand il sera grand, vous pourrez élever la voix. Qu’il ne soit pas une fille, car bien triste est le sort d’une femme ! Apprenez-lui à fixer ses yeux sur les hommes. Montrez-lui comment il doit frapper ceux qui lui font du mal, et qu’il n’oublie jamais de rendre coup pour coup. Lorsqu’il ira à la chasse, la fleur des Visages-Pâles, ajouta-t-elle en employant la métaphore qui s’était présentée à l’imagination de son époux inconstant, et qu’elle se rappelait avec amertume, — la fleur des Visages-Pâles lui dira tout bas à l’oreille que la peau de sa mère était rouge, et qu’elle était autrefois la Biche des Dahcotahs.

Tachechana appuya ses lèvres pour la dernière fois sur celles de son fils ; puis, se retirant à l’extrémité de la tente, elle se couvrit la tête de sa robe légère, et s’assit, en signe d’humilité, sur la terre nue. Tous les efforts de ses compagnes pour attirer son attention furent inutiles. Elle n’entendait pas leurs remontrances, et ne sentait pas le doux toucher de leurs mains. Seulement une ou deux fois sa voix s’éleva de dessous sa robe flottante, en formant une sorte de cadence mélancolique, mais sans jamais monter jusqu’aux accents sauvages de la musique indienne. Elle resta dans cette position pendant des heures entières, tandis qu’il se passait en dehors de la tente des événements qui devaient, non seulement changer matériellement son sort, mais même influer d’une manière toute particulière sur les mouvements de la peuplade de Sioux errants.