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— L’âge a rendu mon père aveugle, répondit-il, ou bien voit-il un si grand nombre de Sioux qu’il pense qu’il n’existe plus de Pawnies ?

— Ah ! voilà la vanité, voilà l’orgueil des mortels ! s’écria en anglais le vieillard désappointé ; la nature n’exerce pas moins d’influence sur une Peau-Rouge que sur un visage pâle. Si un Delaware était là, il se croirait mille fois plus grand qu’un Pawnie, de même qu’un Pawnie pense être le monarque de la terre. Et il en était ainsi entre les Français du Canada et les Habits Rouges[1], que le roi avait coutume d’envoyer dans les États. — Je dis États, quoiqu’ils ne le fussent pas alors, et que ce ne fussent que de pauvres provinces opprimées et exhalant de veines plaintes. — Quoi qu’il en soit, ils se battaient, et faisaient au monde des récits merveilleux de leurs victoires et de leurs actes de bravoure, tandis que les deux partis oubliaient également de parler de l’humble soldat du pays qui faisait le véritable service, mais qui, n’ayant pas alors le privilège de fumer au grand feu du conseil de sa nation, entendait rarement parler de ses faits d’armes une fois qu’il les avait accomplis.

Lorsque le vieillard eut exhalé en ces termes cet orgueil militaire qui était assoupi dans son âme, mais qui était loin d’être éteint, et qu’il se fût laissé aller à la faiblesse même qu’il venait de blâmer dans les autres, ses yeux, qui avaient commencé à s’allumer et à briller d’une partie du feu de sa jeunesse, prirent une expression plus douce, et ils se tournèrent avec intérêt sur le jeune captif, qui était aussi retombé dans son air profondément pensif et concentré.

— Jeune guerrier, reprit-il d’une voix qui devenait tremblante, je n’ai jamais été ni père ni frère, le Wahcondah m’a fait pour vivre seul : il n’a jamais attaché mon cœur à une maison ou à un champ par ces liens qui attachent les hommes de ma race à leurs demeures. S’il l’eût fait, je n’aurais pas voyagé si loin, ni vu tant de choses. Mais j’ai vécu longtemps au milieu d’un peuple qui demeurait dans ces bois dont vous parlez, et j’ai trouvé beaucoup de motifs pour imiter leur courage et admirer leur vertu. Le maître de la vie nous a mis à tous dans l’âme un sentiment d’affection pour nos semblables. Je n’ai jamais été père, Pawnie, mais je sais parfaitement quels sont les sentiments d’un père.

  1. les Anglais.