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— Mon frère sait-il chasser ?

— Hélas ! je ne suis plus qu’un misérable Trappeur.

— Quand la plaine est couverte de buffles, peut-il les voir ?

— Sans doute, sans doute. Il est plus aisé de les voir que de les attraper à la course.

— Et quand les oiseaux fuient le froid et que le ciel est noir de leurs plumes, peut-il aussi les voir ?

— oui, oui ; il n’est pas difficile de découvrir un canard ou une oie, quand il y en a des millions qui obscurcissent le ciel.

— Quand la neige tombe et couvre les loges des Grands-Couteaux, peut-il en voir les flocons dans l’air ?

— Je conviens que mes yeux ne sont pas des meilleurs, dit le vieillard avec un peu de mécontentement ; mais il fut un temps, Pawnie, où ma bonne vue m’avait fait donner un nom.

— Eh bien ! les Peaux Rouges voient les Grands-Couteaux aussi aisément que mon frère voit le buffle qui court dans la plaine, l’oiseau qui voyage et la neige qui tombe. Vos guerriers croient que le maître de la vie a fait toute la terre blanche ; ils se trompent. Ils sont pâles, et c’est leur visage qu’ils voient. Allez, un Pawnie n’est pas aveugle, et il n’a pas besoin de regarder longtemps pour apercevoir votre nation.

L’Indien se fut tout à coup, et baissa la tête de côté, en homme absorbé par son attention. Tournant alors la tête de son cheval, il courut au coin le plus voisin du petit bois derrière lequel ils étaient, et regarda avec attention dans la Prairie, dans une direction opposée à l’endroit où ils se trouvaient. Après cette conduite inexplicable pour presque tous ceux qui en étaient témoins, il revint à pas lents, fixa les yeux sur Inez, alla plusieurs fois en avant et en arrière avec l’air d’un homme qui soutient dans le fond de son cœur une lutte pénible sur quelque point important. Il avait serré les rênes de son coursier impatient, et il semblait sur le point d’adresser la parole au Trappeur, quand tout à coup sa tête retomba sur sa poitrine, et il reprit la même attitude d’attention. Courant au grand galop vers le coin du bois où il avait déjà été, il y décrivit pendant un instant quelques cercles rapides avec la légèreté d’un daim, comme s’il n’eût su de quel côté se diriger, et enfin il partit comme un oiseau qui a voltigé autour de son nid avant de prendre son essor. On le vit courir dans la plaine pendant une minute, puis il disparut derrière un colline.

Les chiens, qui depuis longtemps avaient aussi montré une agi-