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faisant ni pour l’un ni pour l’autre. Le vieillard avait fait toutes les questions que pouvaient lui suggérer sa subtilité et son expérience sur l’état de la tribu des Pawnies-Loups, sur leurs récoltes, leurs provisions pour l’hiver suivant, et leurs relations avec les diverses tribus belliqueuses dont ils étaient voisins, sans pouvoir en tirer une réponse qui expliquât pourquoi ce guerrier isolé se trouvait à une si grande distance des habitations ordinaires de sa peuplade.

D’une autre part, les questions de l’Indien, quoique faites avec plus de réserve et de dignité, n’en étaient pas moins ingénieuses. Il parla de l’état du commerce de pelleteries ; des succès ou des revers qu’avaient éprouvés plusieurs chasseurs blancs qu’il avait rencontrés, ou dont il avait entendu parler ; il fit même allusion à la marche de la nation de son grand-père, comme il nomma prudemment le gouvernement des États-Unis, vers les contrées où chassait sa propre tribu. Il était pourtant évident, d’après le singulier mélange d’intérêt, de mépris et d’indignation qui perçait de temps en temps à travers la réserve habituelle de ce jeune guerrier, qu’il connaissait les étrangers qui usurpaient ainsi les droits des naturels du pays, plutôt par ouï-dire que pour les avoir vus. Enfin on s’apercevait que la vue des blancs était un spectacle nouveau, ou presque nouveau pour lui, à la manière dont il regardait les deux femmes, ainsi qu’à quelques expressions brèves, mais énergiques, qui lui échappaient accidentellement.

Tandis qu’il parlait au Trappeur, ses regards errants revenaient sans cesse se fixer sur la beauté presque enfantine d’Inez, qu’il remarquait avec l’attention qu’on accorderait à un être aérien d’un aspect enchanteur. Il était manifeste qu’il voyait alors pour la première fois une de ces femmes dont les vieillards de sa tribu parlaient si souvent, et qu’ils considéraient comme réunissant toutes les perfections que l’imagination d’un sauvage puisse se figurer en fait de beauté. Ses yeux se tournaient plus rarement vers Hélène ; mais, malgré leur expression fière et belliqueuse, l’hommage que l’homme rend naturellement à la femme se faisait remarquer dans les coups d’œil passagers qu’il jetait sur ses traits plus formés, et peut-être plus expressifs. Pourtant cette admiration était encore si réservée, que les yeux du Trappeur furent les seuls qui s’en aperçurent. Le vieillard avait trop d’expérience des manières des Indiens, et savait trop combien il lui importait