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de le tenir de manière à pouvoir s’en servir au premier besoin.

Cet excès de prudence semblait peu nécessaire. Depuis l’instant où cette apparition s’était montrée tout à coup d’une manière aussi inexplicable, suspendu en quelque sorte entre le ciel et la terre, le fantôme animé n’avait point bougé de place, ni manifesté la moindre intention hostile. En supposant même qu’il eût de sinistres desseins, l’individu dont on pouvait alors distinguer tous les traits, semblait bien peu en état de les exécuter.

Un corps qui avait souffert les rigueurs de plus de quatre-vingts hivers n’avait rien qui pût effrayer un homme aussi robuste que l’émigrant. Dans cet état de décrépitude, on voyait encore que c’était le temps et non la maladie, qui avait pesé si sévèrement sur lui. Ses traits maigres portaient l’empreinte de l’âge, mais n’étaient point défigurés par la souffrance. Les saillies de ses muscles relâchés, qui autrefois annonçaient une grande force, étaient encore visibles ; et dans cet état même il y avait dans toute sa personne un air de vie et de durée qui, sans la fragilité trop connue de l’espèce humaine, aurait pu défier le temps d’étendre plus loin ses ravages. Son costume se composait en grande partie de peaux avec le poil en dehors ; une corne à poudre et une poche de cuir pour ses autres munitions de chasse pendaient à ses épaules, et il était appuyé sur une carabine d’une longueur extraordinaire, mais qui, comme son maître, portait les traces de longs et pénibles services.

Lorsque la troupe fut assez près de lui pour entendre, un hurlement prolongé sortit de l’herbe aux pieds du vieillard, et un vieux chien de chasse, maigre et édenté, redressa lentement sa haute taille, et, après s’être secoué, fit mine de vouloir empêcher les voyageurs d’approcher davantage.

— Tout beau, Hector, tout beau, dit son maître d’une voix que l’âge avait rendue un peu tremblante ; — qu’as-tu à démêler, mon vieux, avec des gens qui voyagent pour leurs affaires ?

— Étranger, si vous connaissez ce pays, dit le chef des émigrans, pourriez-vous apprendre à un voyageur où il y trouvera ce qui lui est nécessaire pour la nuit ?

— La terre est-elle remplie de l’autre côté de la grande rivière ? demanda le vieillard d’un ton solennel sans paraître écouter la question qui lui était adressée ; autrement pourquoi mes yeux voient-ils ce qu’il avaient cru ne jamais revoir ?

— Sans doute, il y a encore de la place pour ceux qui ont de