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visage aussi vivement que sur les physionomies insignifiantes de ses compagnons. Son exhortation homicide ne produisit donc aucun effet, et personne ne troubla les chiens, qui restèrent libres de suivre l’impulsion de leur instinct mystérieux.

Il se passa quelques instants avant qu’aucun des spectateurs rompît le silence. Enfin Ismaël, se rappelant son autorité, crut pouvoir prendre sur lui le droit de diriger les mouvements de ses enfants.

— Allons-nous-en, enfants, dit-il avec un ton d’indifférence plus qu’ordinaire, et laissons ces chiens chanter pour s’amuser. Je ne veux pas ôter la vie à un animal parce que son maître s’est établi trop près de mes défrichements ; allons-nous-en, nous avons assez d’ouvrage pour notre compte, sans nous occuper de celui de nos voisins.

— Ne vous en allez pas, s’écria Esther d’un ton qui ressemblait aux avis mystérieux d’une sibylle ; il y a dans ceci quelque signe, quelque avertissement secret ; je suis femme, je suis mère, et je veux en avoir explication.

À ces mots, brandissant son fusil d’un air qui ne laissa pas d’exercer une influence secrète sur les auditeurs, elle marcha vers le lieu où étaient encore les deux chiens qui, continuaient à faire entendre des hurlements plaintifs et prolongés. Tous ses compagnons la suivirent, les uns par obéissance, les autres par suite d’une indolence qui ne leur permettait pas de résister à sa volonté, tous prenant plus ou moins d’intérêt à cette scène extraordinaire.

— Abner, Abiram, Ismaël, s’écria-t-elle en s’arrêtant dans un endroit où la terre avait été battue, foulée aux pieds, et était encore évidemment teinte de sang, dites-moi, vous qui êtes des chasseurs, quel est l’animal qui a péri en cet endroit ? Parlez ; vous êtes des hommes ; vous devez connaître tous les signes qu’on trouve dans la plaine ? Est-ce le sang d’un loup, ou celui d’une panthère ?

— C’est celui d’un buffle, d’une créature qui a été noble et robuste, répondit Ismaël après avoir examiné avec beaucoup de calme les signes funestes qui causaient à sa femme une telle agitation ; voici l’endroit où il a battu la terre de ses pieds en luttant contre la mort, et plus loin il a tombé et a entamé le sol avec ses cornes. Oui, je réponds que c’était un buffle d’un courage et d’une force admirables.

— Et qui l’a tué ? demanda Esther : est-ce un homme ? il en aurait