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lents et insouciants d’Ismaël. Celui-ci marchait au milieu de ses enfants en homme qui n’attendait rien de cette entreprise, et à qui il était à peu près indifférent qu’elle réussît ou qu’elle échouât.

Ils marchèrent ainsi quelque temps, et s’éloignèrent tellement de leur forteresse, qu’elle ne paraissait plus à leurs yeux que comme un point noir situé à l’extrémité de la Prairie. Ils s’étaient avancés jusqu’alors d’un pas assez rapide et en silence, car, montant et descendant de colline en colline sans découvrir un seul être vivant, ou la moindre chose qui pût varier la monotonie de la scène qu’ils avaient sous les yeux, la langue d’Esther elle-même avait perdu son élasticité ordinaire, et semblait engourdie par un redoublement d’inquiétude.

Enfin Ismaël jugea à propos de s’arrêter, et frappant la terre de la crosse de son fusil : — En voilà assez, dit-il ; il ne manque pas ici de marques laissées par les pieds des daims et des buffles, mais où sont les traces des mocassins indiens que vous avez vus, Abiram ?

— Plus loin du côté de l’ouest, répondit celui-ci en étendant le bras du côté qu’il désignait. C’est ici que j’ai trouvé la piste du daim que j’ai poursuivi, et c’est après l’avoir tué que j’ai reconnu les traces des Tetons.

— Et vous pouvez dire que vous l’avez proprement tué, dit Ismaël en montrant avec dérision les vêtements souillés de sang de son beau-frère, et dirigeant ensuite l’attention des spectateurs sur les siens, par forme de contraste. C’est en ce même lieu, ajouta-t-il d’un air de triomphe, que j’ai tué deux biches et un faon, sans qu’une seule goutte de leur sang tachât mes habits, tandis que vous, maladroit que vous êtes, vous avez donné autant d’ouvrage à Esther et à ses filles, pour un seul daim, que si vous étiez boucher de profession. Allons, allons, je vous dis qu’en voilà assez. J’ai assez d’expérience pour reconnaître les marques du passage des Indiens, et nul Indien n’a passé par ici depuis les dernières pluies. Suivez-moi, et je vous conduirai dans un endroit où nous trouverons au moins quelque buffle pour nous indemniser de notre course.

— Suivez-moi ! répéta Esther en se mettant en marche. C’est moi qui vous conduis aujourd’hui, et c’est moi qu’il faut suivre. Je voudrais bien savoir qui est plus capable qu’une mère de conduire ceux qui cherchent son fils.