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la jalousie et la cupidité les faisaient se terminer par des scènes de violence, de cruauté et de trahison. La rencontre de deux chasseurs dans le désert américain, comme nous trouvons quelquefois à propos d’appeler cette contrée, avait donc lieu à peu près avec la prudence et la circonspection de deux navires qui s’approchent dans une mer qu’ils savent être infestée par des pirates. Ni l’un ni l’autre ne veut trahir sa faiblesse en montrant de la méfiance, mais ils sont encore moins disposés à se compromettre par quelque acte de confiance qui leur permettrait peut-être difficilement de reculer.

Tel fut jusqu’à un certain point le caractère de l’entrevue dont nous avons maintenant à parler. L’étranger s’avança avec circonspection, les yeux constamment fixés sur ceux dont il s’approchait, pour observer tous leurs mouvements, tandis qu’il se créait à dessein de petits obstacles pour rendre sa marche plus lente ; de l’autre part, Paul passait la main négligemment sur le chien de son fusil, trop fier pour donner à penser qu’un individu isolé pût causer quelque appréhension à trois hommes, et cependant trop prudent pour se dispenser entièrement des précautions d’usage. La principale raison de la différence marquée dans la manière dont les deux propriétaires légitimes du banquet accueillirent l’inconnu, devait s’expliquer par la différence totale qui se trouvait dans leur apparence respective.

Tandis que l’extérieur du naturaliste était décidément pacifique, pour ne pas dire abstrait, celui du nouveau-venu se distinguait par un air de vigueur, un port et une démarche qu’il aurait été difficile de ne pas reconnaître sur-le-champ comme ayant quelque chose de militaire.

Il portait un bonnet de fourrageur[1] en beau drap bleu, du haut duquel tombait un gland d’or, qui était presque enseveli dans une forêt de cheveux noirs comme le jais, et bouclés naturellement ; son col de soie noire était mis négligemment. Son corps était couvert d’un frac de chasse d’un vert foncé, décoré des franges et des ornements jaunes qu’on voyait quelquefois parmi les troupes des frontières des États confédérés ; et l’on apercevait par-dessous, le collet et les revers d’un gilet de même étoffe et de même couleur que son bonnet ; il portait des guêtres de peau de daim, et avait pour chaussure le mocassin des Indiens ; un poignard à

  1. A forage cap : nous dirions en français un bonnet de police.