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— Voilà donc, lui dit-il, la bête que vous ameniez dans les Prairies comme un leurre pour en attirer d’autres ! Je savais bien que vous étiez un homme qui ne s’inquiétait guère de la vérité, lorsqu’elle pouvait contrarier ses desseins ; mais j’avoue que pour cette fois vous vous êtes surpassé vous-même. Les journaux du Kentucky vous appelaient un marchand de chair noire ; ils l’ont répété plus de cent fois, mais ils étaient loin de penser que vous étendiez le trafic aux familles blanches.

— Qui fait un trafic d’esclaves ? demanda Abiram d’un ton d’impudence et en élevant la voix avec force. Ai-je à reprendre de tous les mensonges qu’il plaît d’imprimer dans toute l’étendue des États ? Pensez à votre famille, enfant ; pensez à vous-même : il n’y a pas un arbre dans le Kentucky et le Tenessee qui n’élève la voix contre vous ! Oui, mon jeune discoureur, qui avez la langue si bien pendue, j’ai vu un père et une mère, et trois enfants, — et vous étiez du nombre — affichés sur tous les poteaux et tous les troncs d’arbres des habitations, avec promesse d’un nombre suffisant de dollars pour faire la fortune d’un honnête homme, à qui…

Un coup fortement appliqué d’un revers de main qu’il reçut sur la bouche lui coupa la parole, le fit chanceler, et le sang qui jaillit à l’instant rendit témoignage qu’il avait été donné de main de maître.

— Asa, dit Ismaël en s’avançant avec une partie de cette dignité dont la Providence semble avoir imprimé le caractère à tous les pères, — vous avez levé la main sur le frère de votre mère !

— J’ai levé la main sur l’être vil qui calomnie toute ma famille, répondit le jeune homme en fureur ; et s’il ne sait point faire un meilleur usage de sa langue, ou s’il ne peut la maîtriser, qu’il s’arrache ce membre indocile. Je ne manie pas fort bien le couteau, mais, au besoin, je parviendrais peut-être à couper la gorge au vil diffamateur…

— Enfant, vous vous êtes oublié deux fois aujourd’hui ; que cela n’arrive pas une troisième. Quand la loi du pays est faible, il est nécessaire que la loi de la nature soit forte. Vous m’entendez, Asa, et vous me connaissez. Quant à vous, Abiram, on vous a fait un outrage, et c’est à moi de veiller à ce qu’il soit réparé. Soyez tranquille, justice vous sera rendue ; mais vous avez tenu des propos bien durs contre ma famille et contre moi. Si les limiers de la loi ont placardé leurs affiches sur les arbres des clairières, ce ne fut point par suite d’aucune action répréhensible de ma part, vous le