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reprendre dans celui-ci le fil de notre histoire. La saison était au moment de changer ; la verdure de l’été faisait place de plus en plus à la sombre livrée de l’automne[1]. Les cieux ; étaient chargés de nuages qui, amoncelés les uns au-dessus des autres, roulaient avec une effrayante rapidité, s’entr’ouvrant quelquefois pour laisser entrevoir la voûte azurée dont l’éclat étincelant frappait d’autant plus que l’horizon était plus sombre et plus couvert. En dessous les vents se déchaînaient sur la Prairie désolée, avec une violence dont on n’a d’idée dans presque aucune autre partie du continent. On aurait pu croire, dans le temps fabuleux, que le dieu des vents avait permis à ses bruyants sujets de s’échapper de leur antre, et qu’ils prenaient alors librement leurs ébats dans des solitudes où ils ne trouvaient ni arbres, ni montagnes, ni constructions humaines, ni obstacle qui s’opposât à leurs jeux terribles.

Quoique la nudité fût, comme partout ailleurs, le caractère dominant du lieu où nous sommes obligés de transporter maintenant la scène de notre histoire, on y retrouvait cependant quelques vestiges de la vie humaine. Au milieu des ondulations monotones de la Prairie s’élevait un roc escarpé, sur le bord d’une petite rivière, qui, après de longs détours à travers les plaines, allait se jeter dans le sein de l’un des nombreux tributaires du père des fleuves. Près de la base du roc, dans une espèce de bas-fond, régnait une rangée d’aulnes et de sumachs, qui semblaient n’avoir été épargnés que pour indiquer l’emplacement d’un petit bois ; le reste des arbres avait été abattu pour différents usages. C’était là que se trouvaient les indices qui annonçaient la présence de l’homme.

D’en bas on ne distinguait qu’une sorte de parapet formé avec des pierres et des troncs d’arbres, grossièrement entremêlés, de manière à éviter tout travail inutile ; plus loin on voyait quelques toits très-bas, faits d’écorces et de branchages, de distance en distance, une barrière placée sur les points qui semblaient offrir un accès plus facile ; et enfin, au haut d’une petite pyramide qui faisait saillie sur un des angles du roc, une tente de toile dont la blancheur brillait au loin comme un bloc de neige, ou, pour me servir d’une comparaison plus convenable au sujet, comme un étendard sans tache et soigneusement gardé, que ceux qui occu-

  1. Fall. Les Américains appellent l’automne la chute, à cause de la chute des feuilles.