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vénération de Benjamin, qui passait rarement une heure sans venir consulter cet oracle. Un énorme sofa, couvert en indienne, s’étendait le long de tout un côté des murs, dans un espace de près de vingt pieds, et les intervalles que laissaient les meubles des autres côtés étaient remplis par des chaises en bois peint en jaune pâle, avec des lignes transversales en noir, qui avaient été tracées par une main peu sûre. Deux petits lustres étaient suspendus à égale distance entre le poêle et les portes situées à chaque extrémité du salon ; et des girandoles étaient attachées à la boiserie, à intervalles égaux. Elles étaient séparées l’une de l’autre par de petits piédestaux soutenant des bustes en plâtre noirci. Le choix de ces bustes était dû au goût de M. Richard Jones ; l’un était Homère, et la ressemblance était frappante, disait-il, car ce poète était aveugle. À la barbe du second, coupée en pointe, on ne pouvait méconnaître Shakespeare. Le troisième était une femme tenant une urne, et il était aisé de voir que c’était Anna, portant les cendres de sa sœur Didon. Aux lunettes du quatrième, et à l’air de dignité du cinquième, il était impossible de ne pas reconnaître Franklin et Washington. Quant au dernier, qui représentait un homme décolleté, couronné de lauriers, Richard en parlait d’un ton moins affirmatif, et il ne décidait pas s’il représentait Jules-César ou le docteur Faust.

La tapisserie qui décorait la muraille représentait sur un fond gris la Grande-Bretagne pleurant sur la tombe de Wolfe. Le héros lui-même était à peu de distance de la déesse en deuil. Les deux parois de la pièce contenaient la figure, à l’exception d’un bras du général qui s’en allait dans la pièce voisine ; de sorte que lorsque Richard essaya de rassembler de ses propres mains ce dessin délicat, plus d’une difficulté l’empêcha d’y parvenir avec précision, et la Grande-Bretagne eut à déplorer, outre la perte de son guerrier favori, de nombreuses amputations de son bras droit.

L’auteur de ces mutilations cruelles annonça sa présence dans l’appartement par le bruit de son fouet, et il fut le premier à prendre la parole.

— Comment ? Benjamin ! Comment ? Ben-la-Pompe ! s’écria-t-il ; est-ce ainsi que vous recevez une héritière ? Excusez-le, cousine Élisabeth ; il n’est pas donné à tout le monde de sentir ce qui est convenable ; mais me voici, et les choses en iront mieux. Allons donc, monsieur Penguillan, allumez, allumez, et que nous puis-