poisson d’une grosseur peu commune ! Et voyez l’air de dignité de mon père au milieu de tous ces villageois occupés à faire la séparation des diverses espèces de poissons. Il semble pensif et mélancolique, comme s’il craignait qu’un jour de rétribution ne dût suivre bientôt un instant de prodigalité. Cela ne ferait-il pas un beau tableau, Louise ?
— Vous savez que je ne possède pas le talent du dessin, miss Temple.
— Cela n’empêche pas que vous ne puissiez avoir une opinion. Mais pourquoi ne m’appelez-vous pas Élisabeth ? cela serait plus amical.
— Eh bien ! ma chère Élisabeth, je vous dirai donc que je crois que cela pourrait faire un très-beau tableau. Les traits grossiers de Kirby, et le regard de cupidité qu’il jette sur ce poisson, formeraient un contraste parfait avec… avec l’expression de… de la physionomie de M. Edwards. Il y a dans son air quelque chose de… de… je ne saurais comment l’exprimer, mais vous me comprenez, Élisabeth.
— Vous me faites trop d’honneur, miss Grant. Je ne sais ni deviner les pensées, ni interpréter les expressions.
Il n’y avait certainement ni dureté ni froideur dans la manière dont ce peu de mots furent prononcés, et cependant ils interrompirent un moment la conversation, et les deux amies, se tenant par le bras, continuèrent leur promenade en silence, en s’éloignant toujours de leur compagnie. Élisabeth fut la première qui renoua la conversation, soit qu’elle craignît d’avoir blessé miss Grant involontairement en lui parlant comme elle venait de le faire, soit qu’elle y fût excitée par le nouvel objet qui frappa sa vue en ce moment.
— Regardez, Louise, s’écria-t-elle ; nous ne sommes pas les seuls qui pêchions cette nuit dans le lac. Voilà un feu qu’on allume sur l’autre rive, presque en face de nous. Ce doit être près de la hutte de Bas-de-Cuir.
Pour une cause ou pour une autre, Louise avait les yeux baissés vers les cailloux sur lesquels elles marchaient ; probablement parce que, étant plus timide que sa compagne, elle craignait de percer les mystères de l’obscurité ; ou peut-être pour une meilleure cause que nous laissons à nos lecteurs le soin d’imaginer. Quoi qu’il en soit, son attention étant éveillée par l’exclamation