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trice, la nuit qu’ils vinrent pour enlever la venaison que j’avais suspendue au haut de ma cheminée pour l’enfumer. C’est un chien qui mérite plus de confiance que bien des chrétiens, car il n’oublie jamais un ami, et il aime la main qui lui donne son pain.

Il y avait dans le ton et dans les manières de ce vieux chasseur quelque chose de singulier qui attira sur lui toute l’attention, d’Élisabeth du moment qu’elle l’aperçut. C’était un homme fort grand, et dont la maigreur semblait ajouter encore aux six pieds de sa taille[1]. Un bonnet de peau de renard couvrait sa tête, garnie d’un reste de cheveux gris ; son visage était creusé par la maigreur, et cependant tout annonçait en lui une santé robuste et florissante. Le froid et le grand air avaient donné à toute sa figure une couleur rouge uniforme ; ses yeux gris brillaient sous de gros sourcils grisonnant de même que ses cheveux ; son cou nerveux était nu et brûlé comme ses joues ; cependant un bout de collet qui retombait sur ses vêtements prouvait qu’il portait une chemise de toile à carreaux du pays. La coupe de son habit aurait paru extraordinaire à quiconque n’aurait pas su qu’il était lui-même son tailleur : c’était une peau de daim garnie de ses poils, et assujettie autour de son corps par une ceinture semblable. Ses culottes étaient de même étoffe, et il n’avait d’autres bas que des espèces de guêtres, aussi de peau de daim, dont le poil était tourné en dedans, et qui lui remontaient au-dessus des genoux. C’était cette partie de son costume qui lui avait fait donner par les colons, le sobriquet de Bas-de-Cuir. Son épaule gauche soutenait un baudrier pareil au reste de ses vêtements, auquel était suspendue une énorme corne de bœuf grattée si mince, qu’on voyait au travers la poudre à tirer qu’elle contenait : des deux extrémités, la plus large était bouchée en bois, et l’autre se fermait par un bouchons de liége. Une gibecière, ou pour mieux dire une poche de cuir, attachée par-devant, contenait le reste de ses munitions. En finissant de parler, il y prit une petite mesure en fer, la remplit de poudre, et se mit à recharger son long fusil, dont le canon, tandis que la crosse reposait sur la neige, s’élevait presque à la hauteur de son bonnet.

Pendant ce temps, M. Temple examinait les deux blessures du daim, et il s’écria, sans faire attention à la mauvaise humeur du vieux chasseur :

  1. Le pied anglais a environ un pouce de moins que le nôtre.