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M. Le Quoi approcha timidement ses lèvres de la cuiller ; mais les bords s’en étant déjà refroidis, il crut qu’il en serait de même du liquide qu’elle contenait, et, perdant alors toute crainte, il en avala une bonne gorgée, et s’échauda de telle manière, qu’il fit pendant quelques instants des grimaces épouvantables. — Ses jambes, dit Billy quand il raconta ensuite cette histoire, s’agitaient plus vite que les baguettes d’un tambour ; il appuyait la main sur son estomac, en regardant les deux dames comme pour implorer leur pitié, et jurait en français à faire frémir. Mais je voulais lui apprendre qu’on ne se moque pas impunément d’un Yankie, et que fin contre fin n’est pas bon à faire doublure.

L’air d’innocence et de simplicité avec lequel Kirby se remit à sa besogne aurait pu faire croire aux spectateurs de cette scène que c’était sans intention qu’il avait causé à M. Le Quoi une souffrance momentanée, s’il n’avait été trop bien joué pour être naturel. Cependant le Français retrouva bientôt sa présence d’esprit et son décorum ordinaire, et ayant prié les deux jeunes amies d’excuser quelques expressions inconsidérées que la douleur lui avait arrachées, il remonta à cheval, s’éloigna à quelques pas des chaudières, et il ne fut pas question de renouer le marché que cet incident avait interrompu.

Pendant ce temps, Marmaduke s’était promené dans le petit bois, avait examiné ses arbres favoris, et avait reconnu avec chagrin que la négligence avec laquelle ou recueillait le suc des érables était une véritable dévastation.

— Je vois avec peine, dit-il, l’esprit de dilapidation qui règne en ce pays ; on y abuse avec extravagance des bienfaits dont la nature l’a enrichi. Vous-même, Kirby, vous avez des reproches à vous faire à cet égard, car vous faites à ces arbres des blessures mortelles quand la plus légère incision suffirait. Vous devriez songer qu’il a fallu des siècles pour les produire ; et quand ils auront disparu, personne de nous ne verra cette perte se réparer.

— C’est ce dont je ne m’inquiète guère, juge ; mais il me semble qu’il y a tant d’arbres dans ce pays, qu’on ne doit pas craindre d’en voir la fin. Si c’est un péché que d’abattre des arbres, j’aurai un fameux compte à rendre, car j’ai abattu de mes propres mains plus de cinq cents acres de bois dans les États de New-York et de Vermont, et j’espère compléter au moins le