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gens de ta sorte, et une vigueur qui n’appartient pas au nombre de tes années. Mais ce jeune homme est d’une trempe toute différente de la tienne, et il ne doit pas perdre son bel âge dans les bois. Je vous en prie de nouveau, monsieur Edwards, consentez à faire partie de ma famille, du moins pour un certain temps, jusqu’à ce que votre blessure soit complètement guérie. Ma fille que voici, et qui est la maîtresse de ma maison, vous dira que vous y serez le bienvenu.

— Elle doit être ouverte à tous les infortunés, dit Élisabeth avec une vivacité mêlée de dignité, et surtout à ceux qui le deviennent par notre faute.

— Sans doute, sans doute, ajouta Richard, et, puisque vous aimez le dindon, je vous assure que vous n’en manquerez pas. J’en ai une cinquantaine en mue, et je les garantis de bonne qualité, car c’est moi qui les engraisse.

Se trouvant ainsi secondé, Marmaduke insista de nouveau ; il entra dans le détail des devoirs qu’Edwards aurait à remplir chez lui, dit un mot en passant du salaire qui lui serait assuré, enfin toucha à tous les points que les hommes d’affaires regardent comme importants en pareil cas. Le jeune homme l’écoutait d’un air fort agité, et des sentiments contradictoires semblaient se livrer un combat violent dans son cœur. Tantôt il paraissait désirer ardemment le changement de situation qui lui était proposé ; tantôt une expression incompréhensible de répugnance se peignait sur ses traits, comme un nuage épais obscurcit un beau jour.

Le vieil Indien, dont l’air annonçait qu’il sentait encore bien vivement l’état de dégradation auquel il s’était réduit la veille, écoutait les offres du juge avec un intérêt qui croissait à chaque syllabe. Peu à peu il se rapprocha des interlocuteurs, et saisissant un instant où son regard pénétrant vit que le sentiment qui dominait momentanément son jeune compagnon était celui qui le portait à céder aux instances de M. Temple, il quitta tout à coup son air confus et humilié, pour prendre l’attitude fière et intrépide d’un guerrier indien, et lui adressa la parole en ces termes :

— Écoutez votre père, car ses paroles sont celles de la vieillesse. Que le jeune aigle et le grand chef mangent ensemble et dorment sous le même toit sans crainte. Les enfants de Miquon sont justes, et ils feront justice. Le soleil doit se lever et se coucher souvent avant que tous deux ne fassent qu’une même famille ;