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Œil-de-Faucon semblait uniquement occupé de ce qu’il venait de faire, et il se reprochait même tout haut d’avoir cédé à un moment de faiblesse.

— J’ai agi en enfant, dit-il ; c’était ma dernière charge de poudre et ma dernière balle ; qu’importait qu’il tombât dans l’abîme mort ou vif ? il fallait qu’il finît par y tomber. — Uncas, courez au canot, et rapportez-en la grande corne ; c’est tout ce qu’il nous reste de poudre, et nous en aurons besoin jusqu’au dernier grain, ou je ne connais pas les Mingos.

Le jeune Mohican partit sur-le-champ, laissant le chasseur fouiller dans toutes ses poches, et secouer sa corne vide avec un air de mécontentement. Cet examen peu satisfaisant ne dura pourtant pas longtemps, car il en fut distrait par un cri perçant que poussa Uncas, et qui fut même pour l’oreille peu expérimentée de Duncan le signal de quelque nouveau malheur inattendu. Tourmenté d’inquiétude pour le dépôt précieux qu’il avait laissé dans la caverne, il se leva sur-le-champ, sans songer au danger auquel il s’exposait en se montrant à découvert. Un même mouvement de surprise et d’effroi fit que ses deux compagnons l’imitèrent, et tous trois coururent avec rapidité vers le défilé qui séparait les deux grottes, tandis que leurs ennemis leur tiraient quelques coups de fusil dont aucun ne les atteignit. Le cri d’Uncas avait fait sortir de la caverne les deux sœurs et même David, dont la blessure n’était pas sérieuse. Toute la petite troupe se trouva donc réunie, et il ne fallut qu’un coup d’œil jeté sur le fleuve pour apprendre ce qui avait occasionné le cri du jeune chef.

À peu de distance du rocher, on voyait le canot voguer de manière à prouver que le cours en était dirigé par quelque agent caché. Dès que le chasseur l’aperçut, il appuya son fusil contre son épaule, comme par instinct, appuya sur la détente, mais la pierre ne produisit qu’une étincelle inutile.

— Il est trop tard ! s’écria-t-il avec un air de dépit et de désespoir ; il est trop tard ! le brigand a gagné le courant ; et quand nous aurions de la poudre, à peine pourrions-nous lui envoyer une balle plus vite qu’il ne vogue maintenant.

Comme il finissait de parler, le Huron, courbé dans le canot, se voyant hors de portée, se montra à découvert, leva les mains en l’air pour se faire remarquer par ses compagnons, et poussa un cri de triomphe, auquel des hurlements de joie répondirent, comme