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fut là que se placèrent le chasseur et Heyward. Ils s’y établirent derrière un rempart de grosses pierres, aussi bien que les circonstances le permettaient. Derrière eux s’élevait un rocher de forme ronde que l’eau du fleuve battait en vain et qui la forçait à se précipiter en se bifurquant dans les abîmes dont nous avons déjà parlé. Comme le jour commençait à paraître, les deux rives n’opposaient plus à l’œil une barrière de ténèbres impénétrables, et la vue pouvait percer dans la forêt jusqu’à une certaine distance.

Ils restèrent assez longtemps à leur poste, sans que rien annonçât que les ennemis eussent dessein de revenir à la charge, et le major commença à espérer que les sauvages, découragés par le peu de succès de leur première attaque, avaient renoncé à en faire une nouvelle. Il se hasarda à faire part à son compagnon de cette idée rassurante.

— Vous ne connaissez pas la nature d’un Maqua, lui répondit Œil-de-Faucon en secouant la tête, d’un air incrédule, si vous vous imaginez qu’il battra en retraite aussi facilement sans avoir seulement une de nos chevelures. Ils étaient ce matin une quarantaine à hurler, et ils savent trop bien combien nous sommes pour renoncer si tôt à leur chasse. Chut ! regardez là-bas dans la rivière, près de la première chute d’eau. Je veux mourir si les coquins n’ont pas eu l’audace d’y passer à la nage ; et comme notre malheur le veut, ils ont été assez heureux pour se maintenir au milieu de la rivière et éviter les deux courants. Les voilà qui vont arriver à la pointe de l’île ! Silence, ne vous montrez pas, ou vous aurez la tête scalpée, sans plus de délai qu’il n’en faut pour faire tourner un couteau tout autour.

Heyward souleva la tête avec précaution, et vit ce qui lui parut avec raison un miracle d’adresse et de témérité. L’action de l’eau avait à la longue usé le rocher de manière à rendre la première chute moins violente et moins perpendiculaire qu’elle ne l’est ordinairement dans les cataractes. Quelques-uns de ces ennemis acharnés avaient eu l’audace de s’abandonner au courant, espérant ensuite pouvoir gagner la pointe de l’île, aux deux côtés de laquelle étaient les deux formidables chutes d’eau, et assouvir leur vengeance en sacrifiant leurs victimes.

À l’instant où le chasseur cessait de parler, quatre d’entre eux montrèrent leur tête au-dessus de quelques troncs d’arbres que la rivière avait entraînés, et qui, s’étant arrêtés à la pointe de l’île,