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Cet avis était inutile. Le même cri, répété pour la troisième fois, venait de se faire entendre : il semblait partir du sein des eaux, du milieu du lit du fleuve, et se répandait de là dans les bois d’alentour, répété par tous les échos des rochers.

— Y a-t-il ici quelqu’un qui puisse donner un nom à de pareils sons ? dit le chasseur ; en ce cas qu’il parle, car, pour moi, je juge qu’ils n’appartiennent pas à la terre.

— Oui, il y a ici quelqu’un qui peut vous détromper, dit Heyward. Je reconnais maintenant ces sons parfaitement, je les ai entendus plus d’une fois sur le champ de bataille et en diverses occasions qui se présentent souvent dans la vie d’un soldat : c’est l’horrible cri que pousse un cheval à l’agonie ; il est arraché par la souffrance, et quelquefois aussi par une terreur excessive. Ou mon cheval est la proie de quelque animal féroce, ou il se voit en danger, sans moyen de l’éviter. J’ai pu ne pas le reconnaître quand nous étions dans la caverne ; mais, en plein air, je suis sûr que je ne puis me tromper.

Le chasseur et ses deux compagnons écoutèrent cette explication bien simple avec l’empressement joyeux de gens qui sentent de nouvelles idées succéder dans leur esprit aux idées beaucoup moins agréables qui l’occupaient. Les deux sauvages firent une exclamation de surprise et de plaisir en leur langue, et Œil-de-Faucon, après un moment de réflexion, répondit au major :

— Je ne puis nier ce que vous dites, car je ne me connais guère en chevaux, quoiqu’il n’en manque pas dans le pays où je suis né. Il est possible qu’il y ait une troupe de loups sur le rocher qui s’avance sur leur tête, et les pauvres créatures appellent le secours de l’homme aussi bien qu’elles le peuvent. — Uncas, descendez la rivière dans le canot, et jetez un tison enflammé au milieu de cette bande furieuse, sans quoi la peur fera ce que les loups ne peuvent venir à bout de faire, et nous nous trouverons demain sans montures, quand nous aurions besoin de voyager grand train.

Le jeune chef était déjà descendu sur le bord de l’eau, et il s’apprêtait à monter dans le canot pour exécuter cet ordre, quand de longs hurlements partant du bord de la rivière, et qui se prolongèrent quelques minutes jusqu’à ce qu’ils se perdissent dans le fond des bois, annoncèrent que les loups avaient abandonné une proie qu’ils ne pouvaient atteindre, ou qu’une terreur soudaine les avait mis en fuite. Uncas revint sur-le-champ, et il eut une