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devant et par derrière. Si nous avions la lumière du jour, je vous engagerais à monter sur le rocher pour vous faire voir la perversité de l’eau. Elle tombe sans règle et sans méthode. Tantôt elle saute, tantôt elle se précipite ; ici elle se glisse, là elle s’élance ; dans un endroit elle est blanche comme la neige, dans un autre elle est verte comme l’herbe ; d’un côté elle forme des torrents qui semblent vouloir entrouvrir la terre ; d’un autre, elle murmure comme un ruisseau et a la malice de former des tourbillons, pour user la pierre comme si ce n’était que de l’argile. Tout l’ordre de la rivière a été dérangé. À deux cents toises d’ici, en remontant, elle coule paisiblement, comme si elle voulait être fidèle à son ancien cours ; mais alors les eaux se séparent, et vont battre leurs rives à droite et à gauche ; elles semblent même regarder en arrière, comme si c’était à regret qu’elles quittent le désert pour aller se mêler avec l’eau salée. Oui, Madame, ce tissu aussi fin qu’une toile d’araignée, que vous portez autour du cou, n’est qu’un filet à prendre du poisson auprès des dessins délicats que la rivière trace en certains endroits sur le sable, comme si, ayant secoué le joug, elle voulait essayer toutes sortes de métiers. Et que lui en revient-il cependant ? Après avoir fait ses fantaisies quelques instants, comme un enfant entêté, la main qui l’a faite la force à sauter le pas ; ses eaux se réunissent, et elle va paisiblement se perdre dans la mer, où il a été ordonné de tout temps qu’elle se perdrait.

Quoique les voyageurs entendissent avec plaisir une description du Glenn[1] faite avec tant de simplicité, et qui les portait à croire qu’ils se trouvaient en lieu de sûreté, ils n’étaient pas disposés à apprécier les agréments de cette caverne aussi favorablement qu’Œil-de-Faucon. D’ailleurs leur situation ne leur permettait guère de chercher à approfondir toutes les beautés naturelles de

  1. Les chutes du Glenn sont sur l’Hudson, à environ quarante ou cinquante milles au-dessus de la tête de la marée, c’est-à-dire au lieu où la rivière devient navigable pour des sloops. La description de cette pittoresque et remarquable petite cataracte est suffisamment correcte, quoique l’application de l’eau aux usages de la vie civilisée ait matériellement altéré ses beautés. L’île rocheuse et les deux cavernes sont bien connues des voyageurs, et la première supporte maintenant la pile d’un pont qui est jeté sur la rivière, immédiatement au-dessus de la chute. Pour expliquer le goût d’Œil-de-Faucon, on doit se rappeler que les hommes prisent le plus ce dont ils jouissent le moins. Ainsi, dans un nouveau pays, les bois et autres beautés naturelles, que dans l’ancien monde on conserverait à tout prix, sont détruits simplement dans la vue d’améliorer (improving), comme on dit aujourd’hui.