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ment seraient-ils plus fréquents chez les Indiens ? Espérons pourtant, pour l’honneur de la nature humaine, qu’on peut aussi en rencontrer chez eux, que ce jeune Mohican ne trompera pas nos pressentiments, et qu’il sera pour nous tout ce que son extérieur annonce, un ami brave et fidèle.

— C’est parler comme il convient au major Heyward, dit Cora. En voyant cet enfant de la nature, qui pourrait songer à la couleur de sa peau ?

Un silence de quelques instants, et dans lequel il paraissait entrer quelque embarras, suivit cette remarque caractéristique. Il fut interrompu par la voix du chasseur, qui criait aux voyageurs d’entrer dans la caverne.

— Le feu commence à donner trop de clarté, leur dit-il quand ils furent entrés, et elle pourrait amener les Mingos sur nos traces. Uncas, baissez la couverture, et que ces coquins n’y voient que du noir. Nous n’aurons pas un souper tel qu’un major des Américains royaux aurait droit de l’attendre, mais j’ai vu des détachements de ce corps se trouver très contents de manger de la venaison toute crue et sans assaisonnement[1]. Ici nous avons du moins, comme vous le voyez, du sel en abondance, et voilà du feu qui va nous faire d’excellentes grillades. Voilà des branches de sassafras sur lesquelles ces dames peuvent s’asseoir. Ce ne sont pas des sièges aussi brillants que leurs fauteuils d’acajou ; ils ne sont pas garnis de coussins rembourrés, mais ils exhalent une odeur douce et suave[2]. Allons, l’ami, ne songez plus au poulain ; c’était une créature innocente qui n’avait pas encore beaucoup souffert : sa mort lui épargnera la gêne de la selle et la fatigue des jambes.

Uncas fit ce qui lui avait été ordonné, et quand Œil-de-Faucon eut cessé de parler, on n’entendit plus que le bruit de la cataracte, qui ressemblait à celui d’un tonnerre lointain.

  1. Relish. Dans le langage vulgaire, l’assaisonnement d’un plat est appelé par les Américains relish, et l’on semble attacher plus d’importance à l’assaisonnement qu’au met principal. Ces termes provinciaux sont souvent placés dans la bouche des acteurs, suivant leur condition. La plupart de ces termes sont d’un usage local, et d’autres sont tout à fait particuliers à la classe d’hommes à laquelle le personnage appartient. Dans le cas présent le chasseur se sert de ce mot sans faire positivement allusion au sel dont la société était abondamment pourvue.
  2. Il y a ici un jeu de mots qu’il faut désespérer de traduire. L’acajou se dit en anglais mahogany : Œil-de-Faucon le prononce my hog-Guinea, ce qui veut dire mon cochon de Guinée, et il ajoute que le sassafras a une odeur bien supérieure à celle du cochon de Guinée et de tous les cochons du monde. C’est un calembour sauvage qui ne ferait peut-être pas fortune à Paris ; mais il est intraduisible.