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sa proximité permettaient de distinguer complètement. Les voyageurs regardèrent avec intérêt la taille droite et souple du jeune Mohican, dont toutes les attitudes et tous les mouvements avaient une grâce naturelle. Son corps était plus couvert qu’à l’ordinaire par un vêtement de chasse, mais on voyait briller son œil noir, fier et intrépide, quoique doux et calme. Ses traits bien dessinés offraient le teint rouge de sa nation dans toute sa pureté ; son front élevé était plein de dignité, et sa tête noble ne présentait à la vue que cette touffe de cheveux que les sauvages conservent par bravoure, et comme pour défier leurs ennemis de la leur enlever.

C’était la première fois que Duncan Heyward et ses compagnes avaient eu le loisir d’examiner les traits prononcés de l’un des deux Indiens qu’ils avaient rencontrés si à propos, et ils se sentirent soulagés du poids accablant de leur inquiétude en voyant l’expression fière et déterminée, mais franche et ouverte, de la physionomie du jeune Mohican. Ils sentirent qu’ils pouvaient avoir devant les yeux un être plongé dans la nuit de l’ignorance, mais non un perfide plein de ruses se consacrant volontairement à la trahison. L’ingénue Alice le regardait avec la même admiration qu’elle aurait accordée à une statue grecque ou romaine qu’un miracle aurait appelée à la vie ; et Heyward, quoique accoutumé à voir la perfection des formes qu’on remarque souvent chez les sauvages que la corruption n’a pas encore atteints, exprima ouvertement sa satisfaction.

— Je crois, lui répondit Alice que je dormirais tranquillement sous la garde d’une sentinelle aussi généreuse et aussi intrépide que le paraît ce jeune homme. Bien certainement, Duncan, ces meurtres barbares, ces scènes épouvantables de torture, dont nous avons tant entendu parler, dont nous avons lu tant d’horribles relations, ne se passent jamais en présence de semblables êtres.

— C’est certainement un rare exemple des qualités que ce peuple possède, répondit le major ; et je pense comme vous qu’un tel front et de tels yeux sont faits pour intimider des ennemis plutôt que pour tromper des victimes. Mais ne nous trompons pas nous-mêmes en attendant de ce peuple d’autres vertus que celles qui sont à la portée des sauvages. Les brillants exemples de grandes qualités ne sont que trop rares chez les chrétiens ; com-