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compagne, et fixez vous-même à ce service tel prix qu’il vous plaira.

Ses compagnons, qui conversaient entre eux dans la langue des Indiens, ne firent pas attention à cette prière aussi fervente que subite. Quoiqu’ils parlassent à voix basse et avec précaution, Heyward, en s’approchant d’eux, reconnut la voix du jeune homme qui répondait avec chaleur et véhémence à quelques mots que son père venait de prononcer d’un ton plus calme. Il était évident qu’ils discutaient quelque projet qui concernait la sûreté des voyageurs. Ne pouvant supporter l’idée d’un délai que son imagination inquiète lui représentait comme pouvant faire naître de nouveaux périls, il s’avança vers le groupe dans l’intention de faire d’une manière encore plus précise les offres d’une récompense généreuse. En ce moment le chasseur, faisant un geste de la main, comme pour annoncer qu’il cédait un point contesté, s’écria en anglais, comme par forme de monologue :

— Uncas a raison. Ce ne serait pas agir en homme que d’abandonner à leur destin deux pauvres femmes sans défense, quand même nous devrions perdre pour toujours notre refuge ordinaire. — Monsieur, ajouta-t-il en s’adressant au major qui arrivait, si vous voulez protéger ces tendres boutons contre la fureur des plus terribles ouragans, nous n’avons pas un moment à perdre, et il faut vous armer de toute votre résolution.

— Vous ne pouvez douter de mes sentiments, et j’ai déjà offert…

— Offrez vos prières à Dieu, qui seul peut nous accorder assez de prudence pour tromper la malignité des démons que cache cette forêt ; mais dispensez-vous de vos offres d’argent. Nous ne vivrons peut-être pas assez longtemps, vous pour tenir de pareilles promesses, et nous pour en profiter. Ces deux Mohicans et moi nous ferons tout ce que l’homme peut faire pour sauver ces deux tendres fleurs, qui, quelque douces qu’elles soient, ne furent jamais créées pour le désert. — Oui, nous les défendrons, et sans attendre d’autre récompense que celle que Dieu accorde toujours à ceux qui font le bien. Mais d’abord il faut nous promettre deux choses, tant pour vous que pour vos amis, sans quoi, au lieu de vous servir, nous pourrions nous nuire à nous-mêmes.

— Quelles sont-elles ?

— La première, c’est d’être silencieux comme ces bois, quoi qu’il puisse arriver. La seconde, c’est de ne jamais faire connaître à qui que ce soit l’endroit où nous allons vous conduire.