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vement involontaire de l’autre main pour saisir son fusil ; mais l’Indien ne parut nullement ému de cette interruption inattendue, et ne détourna pas même la tête pour voir qui parlait ainsi.

Presque au même instant un jeune guerrier passa sans bruit entre eux d’un pas léger, et alla s’asseoir sur le bord du fleuve. Le père ne fit aucune exclamation de surprise, et tous restèrent en silence pendant quelques minutes, chacun paraissant attendre l’instant où il pourrait parler sans montrer la curiosité d’une femme ou l’impatience d’un enfant. L’homme blanc sembla vouloir se conformer à leurs usages, et, remettant son couteau dans sa gaine, il observa la même réserve.

Enfin Chingachgook levant lentement les yeux vers son fils : — Eh bien ! lui demanda-t-il, les Maquas osent-ils laisser dans ces bois l’empreinte de leurs mocassins ?

— J’ai été sur leurs traces, répondit le jeune Indien, et je sais qu’ils y sont en nombre égal aux doigts de mes deux mains ; mais ils se cachent en poltrons.

— Les brigands cherchent à scalper ou à piller, dit l’homme blanc, à qui nous laisserons le nom d’Œil-de-Faucon que lui donnaient ses compagnons. — L’actif Français Montcalm enverra ses espions jusque dans notre camp, plutôt que d’ignorer la route que nous avons voulu suivre.

— Il suffit, dit le père en jetant les yeux vers le soleil qui s’abaissait vers l’horizon ; ils seront chassés comme des daims de leur retraite. Œil-de-Faucon, mangeons ce soir, et faisons voir demain aux Maquas que nous sommes des hommes.

— Je suis aussi disposé à l’un qu’à l’autre, répondit le chasseur ; mais pour attaquer ces lâches Iroquois, il faut les trouver ; et pour manger, il faut avoir du gibier. — Ah ! parlez du diable et vous verrez ses cornes. Je vois remuer dans les broussailles, au pied de cette montagne, la plus belle paire de bois que j’aie aperçue de toute cette saison. Maintenant, Uncas, ajouta-t-il en baissant la voix en homme qui avait appris la nécessité de cette précaution, je gage trois charges de poudre contre un pied de wampum[1], que je vais frapper l’animal entre les deux yeux, et plus près de l’œil droit que du gauche.

  1. Le wampum est la monnaie des sauvages de l’Amérique septentrionale : ils composent le wampum avec des coquillages d’une certaine espèce qu’ils unissent en forme de chapelets, de ceintures, etc. ; cette monnaie se mesure au lieu de se compter. Des présents de wampum précèdent tous les traités de paix et d’amitié.