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notre histoire. Après avoir vu partir tous ceux de sa couleur, Œil-de-Faucon revint vers le lieu qui lui rappelait de si tristes souvenirs. Les Delawares commençaient déjà à revêtir Uncas de ses derniers vêtements de peaux. Ils s’arrêtèrent un moment pour permettre au chasseur de jeter un long regard sur son jeune ami, et de lui dire un dernier adieu. Le corps fut ensuite enveloppé pour ne plus jamais être découvert. Alors commença une procession solennelle comme pour Cora, et toute la nation se réunit autour du tombeau provisoire du jeune chef, provisoire, car il était convenable qu’un jour ses ossements reposassent au milieu de ceux de son peuple.

Le mouvement de la foule avait été simultané et général. Elle montra autour de la tombe la même douleur, la même gravité, le même silence que nous avons déjà eu l’occasion de décrire. Le corps fut déposé dans l’attitude du repos, le visage tourné vers le soleil levant ; ses instruments de guerre, ses armes pour la chasse étaient à ses côtés ; tout était préparé pour le grand voyage. Une ouverture avait été pratiquée dans l’espèce de bière qui renfermait le corps, pour que l’esprit pût communiquer avec ces dépouilles terrestres, lorsqu’il en serait temps ; et les Delawares, avec cette industrie qui leur est propre, prirent les précautions d’usage pour le mettre à l’abri des ravages des oiseaux de proie.

Ces arrangements étant terminés, l’attention générale se porta de nouveau sur Chingachgook. Il n’avait pas encore parlé, et l’on attendait quelques paroles de consolation, quelques avis salutaires de la bouche d’un chef aussi renommée, dans une circonstance aussi solennelle. Devinant les désirs du peuple, le malheureux père leva la tête qu’il avait laissé retomber sur la poitrine, et promena un regard calme et tranquille sur l’assemblée. Ses lèvres s’ouvrirent alors, et pour la première fois, depuis le commencement de cette longue cérémonie, il prononça des paroles distinctement articulées :

— Pourquoi mes frères sont-ils dans la tristesse ? dit-il en regardant l’air abattu des guerriers qui l’entouraient ; pourquoi mes filles pleurent-elles ? Parce qu’un jeune guerrier est allé chasser dans les bois bienheureux ! parce qu’un chef a fourni sa carrière avec honneur ! Il était bon ; il était soumis ; il était brave. Le Manitou avait besoin d’un pareil guerrier, et il l’a appelé à lui. Pour moi, je ne suis plus qu’un tronc desséché que les blancs ont dépouil-