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Un silence d’une minute suivit cette question, et l’Indien, s’étant recueilli pour s’armer de toute sa dignité, commença son court récit avec un ton solennel qui servait à en rehausser l’apparence de vérité.

— Écoutez-moi, Œil-de-Faucon, dit-il, et vos oreilles ne recevront pas de mensonges. Je vous dirai ce que m’ont dit mes pères, et ce qu’ont fait les Mohicans. Il hésita un instant, puis, jetant sur son compagnon un regard circonspect, il continua d’un ton qui tenait le milieu entre l’interrogation et l’affirmation : — L’eau du fleuve qui coule sous nos pieds ne devient-elle pas salée à certaines époques, et le courant n’en remonte-t-il pas alors vers sa source ?

— On ne peut nier que vos traditions ne vous rapportent la vérité à cet égard, car j’ai vu de mes propres yeux ce que vous me dites, quoiqu’il soit difficile d’expliquer pourquoi l’eau qui est d’abord si douce se charge ensuite de tant d’amertume.

— Et le courant ? demanda l’Indien, qui attendait la réponse avec tout l’intérêt d’un homme qui désire entendre la confirmation d’une merveille qu’il est forcé de croire, quoiqu’il ne la conçoive pas ; les pères de Chingachgook n’ont pas menti.

— La sainte Bible n’est pas plus vraie, répondit le chasseur, et il n’y a rien de plus véritable dans toute la nature : c’est ce que les blancs appellent la marée montante ou le contre-courant, et c’est une chose qui est assez claire et facile à expliquer. L’eau de la mer entre pendant six heures dans la rivière, et en sort pendant six heures, et voici pourquoi : quand l’eau de la mer est plus haute que celle de la rivière, elle y entre jusqu’à ce que la rivière devienne plus haute à son tour, et alors elle en sort.

— L’eau des rivières qui sortent de nos bois et qui se rendent dans le grand lac coule toujours de haut en bas jusqu’à ce qu’elles deviennent comme ma main, reprit l’Indien en étendant le bras horizontalement, et alors elle ne coule plus.

— C’est ce qu’un honnête homme ne peut nier, dit le blanc, un peu piqué du faible degré de confiance que l’Indien semblait accorder à l’explication qu’il venait de lui donner du mystère du flux et du reflux ; et je conviens que ce que vous dites est vrai sur une petite échelle et quand le terrain est de niveau. Mais tout dépend de l’échelle sur laquelle vous mesurez les choses : sur la petite échelle la terre est de niveau, mais, sur la grande, elle est