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répondit à l’objection de son antagoniste aussi bien que le permettaient ses connaissances bornées.

— Je ne suis pas savant, ajouta-t-il, et je ne rougis pas de l’avouer ; mais, en jugeant d’après ce que j’ai vu faire à vos compatriotes en chassant le daim et l’écureuil, je suis porté à croire qu’un fusil aurait été moins dangereux entre les mains de leurs grands-pères qu’un arc et une flèche armée d’une pierre bien affilée, quand elle est décochée par un Indien.

— Vous contez l’histoire comme vos pères vous l’ont apprise, répliqua Chingachgook en faisant un geste dédaigneux de la main. Mais que racontent vos vieillards ? Disent-ils à leurs jeunes guerriers que lorsque les Visages-Pâles ont combattu les Hommes-Rouges, ils avaient le corps peint pour la guerre, et qu’ils étaient armés de haches de pierre et de fusils de bois ?

— Je n’ai pas de préjugés, et je ne suis pas homme à me vanter de mes avantages naturels, quoique mon plus grand ennemi, et c’est un Iroquois, n’osât nier que je suis un véritable blanc, répondit le batteur d’estrade en jetant un regard de satisfaction secrète sur ses mains brûlées par le soleil. Je veux bien convenir que les hommes de ma couleur ont quelques coutumes que, comme honnête homme, je ne saurais approuver. Par exemple, ils sont dans l’usage d’écrire dans des livres ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont vu, au lieu de le raconter dans leurs villages, où l’on pourrait donner un démenti en face à un lâche fanfaron, et où le brave peut prendre ses camarades à témoin de la vérité de ses paroles. En conséquence de cette mauvaise coutume, un homme qui a trop de conscience pour mal employer son temps, au milieu des femmes, à apprendre à déchiffrer les marques noires mises sur du papier blanc, peut n’entendre parler jamais des exploits de ses pères, ce qui l’encouragerait à les imiter et à les surpasser. Quant à moi, je suis convaincu que tous les Bumppos étaient bons tireurs, car j’ai une dextérité naturelle pour le fusil, et elle doit m’avoir été transmise de génération en génération, comme les saints commandements nous disent que nous sont transmises toutes nos qualités bonnes ou mauvaises, quoique je ne voulusse avoir à répondre pour personne en pareille matière. Au surplus, toute histoire a ses deux faces : ainsi je vous demande, Chingachgook, ce qui se passa quand nos pères se rencontrèrent pour la première fois.