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pour ton parent, tu es libre. Te rappelles-tu le nom de ce guerrier anglais ?

— Je me rappelle que lorsque j’étais bien jeune, reprit le patriarche dont les souvenirs se reportaient plus aisément à ses premières années qu’à toutes celles qui les avaient suivies, — je jouais sur le sable au bord de la mer, et je vis un grand canot ayant des ailes plus blanches que celles du cygne, plus grandes que celles de plusieurs aigles ensemble, qui venait du soleil levant…

— Non, non, je ne parle pas d’un temps si éloigné, mais d’une grâce accordée à ton sang par l’un des miens, grâce assez récente pour que le plus jeune de tes guerriers puisse s’en souvenir.

— Était-ce lorsque les Yengeese et les Hollandais se battaient pour les bois où chassaient les Delawares ? Alors Tamenund était un chef puissant, et pour la première fois il déposa son arc pour s’armer du tonnerre des blancs…

— Non, s’écria Cora en l’interrompant encore, c’est remonter beaucoup trop haut ; je parle d’une chose d’hier. Assurément tu n’as pu l’oublier.

— Hier, reprit le vieillard, et sa voix creuse prit une expression touchante ; — hier les enfants des Lenapes étaient maîtres du monde ! Les poissons du lac salé, les oiseaux, les bêtes et les Mingos des bois les reconnaissaient pour les Sagamores.

Cora baissa la tête dans l’amertume de sa douleur ; puis, ranimant son courage et voulant faire un dernier effort, elle prit une voix presque aussi touchante que celle du patriarche lui-même :

— Dites-moi, Tamenund est-il père ?

Le vieillard promena lentement ses regards sur toute l’assemblée ; un sourire de bienveillance se peignit dans ses traits, et, abaissant ses regards sur Cora, il répondit :

— Père d’une nation.

— Je ne demande rien pour moi. Comme toi et les tiens, chef vénérable, (ajouta-t-elle en serrant ses mains sur son cœur par un mouvement convulsif, et en laissant retomber sa tête, au point que ses joues brûlantes étaient presque entièrement cachées sous les cheveux noirs et bouclés qui se répandaient en désordre sur ses épaules,) la malédiction transmise par mes ancêtres est tombée de tout son poids sur leur enfant ! Mais voilà une infortunée qui n’a jamais éprouvé jusqu’à présent la colère céleste. Elle a des parents, des amis qui l’aiment, dont elle fait les délices ; elle est