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par la douleur, mais plein de majesté, elle était encore, au milieu de son désespoir, l’image la plus parfaite de la beauté. La physionomie de Tamenund s’anima insensiblement ; ses traits perdirent ce qu’ils avaient de vague et de hagard pour exprimer l’admiration, et ils brillèrent encore d’une étincelle de ce feu électrique qui, un demi-siècle auparavant, se communiquait avec tant de force aux bandes nombreuses des Delawares. Se levant sans aide, et en apparence sans effort, il demanda d’une voix dont la fermeté fit tressaillir la multitude :

— Qui es-tu ?

— Une femme ; une femme d’une race détestée, si tu veux, une Yengeese ; mais qui ne t’a jamais fait de mal, qui ne peut en faire à ton peuple quand même elle le voudrait, et qui implore ta protection.

— Dites-moi, mes enfants, dit le patriarche d’une voix entrecoupée en interpellant du geste ceux qui l’entouraient, quoique ses yeux restassent fixés sur Cora agenouillée, — où les Delawares ont-ils campé ?

— Sur les montagnes des Iroquois, au delà des sources limpides de l’Horican.

— Que d’étés arides, ajouta le sage, ont passé sur ma tête depuis que j’ai bu les eaux de mon fleuve ! Les enfants de Miquon[1] sont les hommes blancs les plus justes ; mais ils avaient soif, et ils le prirent pour eux. Nous suivent-ils jusqu’ici ?

— Nous ne suivons personne, nous ne désirons rien, répondit vivement Cora. Retenus contre notre volonté, nous avons été amenés parmi vous ; et nous ne demandons que la permission de nous retirer tranquillement dans notre pays. N’es-tu pas Tamenund, le père, le juge, j’allais dire le prophète de ce peuple ?

— Je suis Tamenund, qui ai vu bien des jours.

— Il y a sept ans environ que l’un des tiens était à la merci d’un chef blanc, sur les frontières de cette province. Il se dit du sang du bon et juste Tamenund. — Va, dit le chef des blancs, par égard

  1. William-Penn était appelé Miquon par les Delawares, et comme il n’usa jamais ni d’injustices ni de violences dans ses relations avec eux, sa réputation de probité est passée en proverbe. L’Américain est justement fier de l’origine de sa nation parce qu’elle est peut-être unique dans l’histoire du monde, mais les Pensylvaniens et les habitants de Jersey ont encore plus de raisons de se glorifier de leurs ancêtres que les habitants d’aucun autre État, puisque aucune injustice n’a été commise par eux envers les premiers propriétaires du sol natal.