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commencement de cette scène solennelle, lorsque le chasseur avait établi son identité d’une manière si palpable. Cependant lorsque Magua prit la parole et qu’il sut graduer avec art les inflexions de sa voix, Tamenund parut reprendre quelque connaissance, et une ou deux fois même il leva la tête, comme pour écouter. Enfin le Renard-Subtil ayant prononcé le nom de sa nation, les paupières du vieillard s’entr’ouvrirent, et il regarda la multitude avec cette expression vague, insignifiante, qui semble devoir être celle des spectres dans le tombeau. Alors il fit un effort pour se lever, et, soutenu par les deux chefs placés à ses côtés, il resta debout, dans une position propre à commander le respect, quoique l’âge fît fléchir sous lui ses genoux.

— Qui parle des enfants des Lenapes ? dit-il d’une voix sourde et gutturale qui se faisait entendre distinctement à cause du religieux silence observé par le peuple ; qui parle de choses qui ne sont plus ? L’œuf ne se change-t-il pas en ver, et le ver en mouche ? La mouche ne périt-elle pas ? Pourquoi parler aux Delawares des biens qu’ils ont perdus ! Remercions plutôt le Manitou de ceux qu’il leur a laissés.

— C’est un Wyandot, dit Magua en s’approchant davantage de la plate-forme grossière sur laquelle le vieillard était placé, c’est un ami de Tamenund.

— Un ami ! répéta le sage ; et son front se couvrit d’un sombre nuage qui donna à sa physionomie une partie de cette sévérité qui avait rendu son regard si terrible lorsqu’il n’était encore qu’au milieu de sa carrière. — Les Mingos sont-ils maîtres de la terre ? Un Huron ici ! Que veut-il ?

— Justice ! Ses prisonniers sont au pouvoir de ses frères, et il vient les réclamer.

Tamenund tourna la tête du côté de l’un des chefs qui le soutenaient, et écouta les courtes explications que celui-ci lui donna. Ensuite envisageant Magua, il le regarda un instant avec une profonde attention ; puis il dit à voix basse et avec une répugnance marquée :

— La justice est la loi du grand Manitou. Mes enfants, offrez des aliments à l’étranger. Ensuite, Huron, prends ton bien et laisse-nous.

Après avoir prononcé ce jugement solennel, le patriarche s’assit et ferma de nouveau les yeux, comme s’il préférait les images