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toutes les figures qui l’entouraient, comme pour mettre ses expressions à la portée de ses auditeurs. Ses yeux, en se portant sur Œil-de-Faucon, exprimèrent une inimitié respectueuse ; en se dirigeant sur Duncan, une haine implacable ; ils s’arrêtèrent à peine sur la tremblante Alice ; mais lorsqu’ils tombèrent sur Cora, à qui son maintien fier et hardi ne faisait rien perdre de ses charmes, ils s’y fixèrent un instant avec une expression qu’il eût été difficile de définir. Alors, poursuivant ses sinistres desseins, il parla dans la langue des Canadiens, langue qu’il savait être comprise de la plupart de ses auditeurs.

— L’Esprit qui fit les hommes leur donna des couleurs différentes, dit en commençant le Renard-Subtil. Les uns sont plus noirs que l’ours des forêts. Il dit que ceux-là seraient esclaves ; et il leur ordonna de travailler à jamais, comme le castor : vous pouvez les entendre gémir, lorsque le vent du midi vient à souffler ; leurs gémissements se font entendre au-dessus des beuglements des buffles, le long des bords de la grande eau salée, où les grands canots qui vont et viennent en sont chargés. À d’autres il donna une peau plus blanche que l’hermine, il leur commanda d’être marchands, chiens pour leurs femmes, et loups pour leurs esclaves. Il voulut que, comme les pigeons, ils eussent des ailes qui ne se lassassent jamais ; des petits plus nombreux que les feuilles sur les arbres, un appétit à dévorer la terre. Il leur donna la langue perfide du chat sauvage, le cœur des lapins, la malice du pourceau, mais non pas celle du renard, et des bras plus longs que les pattes de la souris ; avec sa langue cette race bouche les oreilles des Indiens ; son cœur lui apprend à payer des soldats pour se battre ; sa malice lui enseigne le moyen d’accumuler pour son usage tous les biens du monde ; et ses bras entourent la terre depuis les bords de l’eau salée jusqu’aux îles du grand lac. Sa gloutonnerie la rend insatiable ; Dieu lui a donné suffisamment, et cependant elle veut tout avoir. Tels sont les blancs. — D’autres enfin ont reçu du grand Esprit des peaux plus brillantes et plus rouges que le soleil qui nous éclaire, ajouta Magua en montrant par un geste expressif cet astre resplendissant qui cherchait à percer le brouillard humide qui couvrait l’horizon ; — et ceux-là furent ses enfants de prédilection ; il leur donna cette île telle qu’il l’avait faite, couverte d’arbres et remplie de gibier. Le vent fit leurs clairières, et le soleil et les pluies mûrirent leurs fruits ;