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la manière dont il en fit le partage. Il présenta ceux qui brillaient davantage aux yeux, aux deux guerriers les plus distingués, parmi lesquels était le Cœur-Dur, son hôte ; et en offrant les autres aux chefs d’un rang subalterne, il eut le soin d’en relever le prix par des compliments qui ne leur laissaient aucun motif pour se plaindre d’être moins bien partagés. En un mot, il fit un si heureux mélange de flatterie et de libéralité, qu’il ne lui fut pas difficile de lire dans les yeux de ceux à qui il offrait ces présents, l’effet que produisaient sur eux ses éloges et sa générosité.

Le coup politique qu’il venait de frapper eut des résultats immédiats. La gravité des Delawares se relâcha ; leurs traits prirent une expression plus cordiale ; et le Cœur-Dur, qui devait peut-être ce surnom français à quelque exploit honorable, dont les détails ne sont point parvenus jusqu’à nous, dit à Magua, après avoir contemplé quelques instants sa part du butin avec une satisfaction manifeste :

— Mon frère est un grand chef ! il est le bienvenu.

— Les Hurons sont amis des Delawares, dit Magua. Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? N’est-ce pas le même soleil qui colore leur peau ? Ne chasseront-ils pas dans les mêmes forêts après leur mort ? Les Peaux-Rouges doivent être amies, et avoir les yeux ouverts sur les blancs. — Mon frère n’a-t-il pas vu des traces d’espions dans les bois ?

Le Delaware oublia la réponse évasive qu’il venait de faire à la même question lorsqu’elle lui avait été adressée en d’autres termes, et la dureté de son cœur se trouvant sans doute amollie par les présents qu’il avait reçus, il daigna alors répondre d’une manière plus directe :

— On a vu des mocassins étrangers autour de notre camp. Ils sont même entrés dans nos habitations.

— Et mon frère a-t-il chassé les chiens ? demanda Magua sans avoir l’air de remarquer que cette réponse démentait celle qu’il avait reçue auparavant.

— Non. L’étranger est toujours le bienvenu chez les enfants des Lenapes.

— L’étranger, bien ; mais l’espion ?

— Les Yengeese emploient-ils leurs femmes comme espions ? Le chef huron n’a-t-il pas dit qu’il avait fait des femmes prisonnières pendant la bataille ?