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si elle eût contenu le sujet de toutes les pensées et de tous les discours.

Pendant que cette scène se passait, un homme parut tout à coup à l’extrémité de la plate-forme du rocher sur laquelle le camp était situé. Il était sans armes, et la manière dont son visage était peint semblait avoir pour but d’adoucir la férocité naturelle de ses traits. Lorsqu’il fut en vue des Delawares il s’arrêta et fit un signe de paix et d’amitié en levant d’abord un bras vers le ciel, et en appuyant ensuite une main sur sa poitrine. Les Delawares y répondirent de la même manière, et l’encouragèrent à s’approcher en répétant ces démonstrations amicales.

Assuré ainsi de leurs dispositions favorables, cet individu quitta le bord du rocher où il s’était arrêté un instant, son corps se dessinant sur un horizon paré des belles couleurs du matin, et s’avança lentement et avec dignité vers les habitations. Tandis qu’il s’en approchait, on n’entendait que le bruit des légers ornements d’argent suspendus à son cou et à ses bras, et des petites sonnettes qui ornaient ses mocassins de peau de daim. Il faisait des signes d’amitié à tous les hommes près desquels il passait, mais n’accordait aucune marque d’attention aux femmes, comme s’il eût pensé qu’il n’avait pas besoin de capter leur bienveillance pour réussir dans l’affaire qui l’amenait. Quand il arriva près du groupe qui contenait les principaux chefs, comme l’annonçait leur air de hauteur et de dignité, il s’arrêta, et les Delawares virent que l’étranger qui arrivait parmi eux était un chef huron qui leur était bien connu, le Renard-Subtil.

Il fut reçu d’une manière grave, silencieuse et circonspecte. Les guerriers qui étaient sur la première ligne s’écartèrent pour faire place à celui d’entre eux qu’ils regardaient comme leur meilleur orateur, et qui parlait toutes les langues usitées parmi les sauvages du nord de l’Amérique.

— Le sage Huron est le bienvenu, dit le Delaware en maqua ; il vient manger son suc-ca-tush[1] avec ses frères des lacs.

— Il vient pour cela, répondit Magua avec toute la dignité d’un prince de l’Orient.

Le chef delaware étendit le bras, serra le poignet du Huron en

  1. Le suc-ca-tush est un mets composé de maïs et d’autres ingrédients mêlés : ordinairement il n’y entre que du maïs et des fèves. Ce mets est très connu et très estimé des blancs des États-Unis, qui le désignent par le même nom.