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trouvèrent enfin réunis au nombre de vingt. Chacun d’eux portait un fusil et ses autres armes ; mais leur visage était pacifique, et n’était pas peint des couleurs qui annoncent la guerre. Leur arrivée n’amena aucune conversation. Les uns s’assirent dans un coin, les autres restèrent debout, immobiles comme des statues, et tous gardèrent un profond silence, jusqu’à ce que le dernier d’entre eux eût complété leur nombre.

Alors Magua se leva, se mit à leur tête, et donna le signal du départ. Ils le suivirent un à un, dans cet ordre auquel on a donné le nom de file indienne. Bien différents des soldats qui se mettent en campagne, et dont le départ est toujours bruyant et tumultueux, ils sortirent du camp sans bruit, ressemblant à des spectres qui se glissent dans les ténèbres, plutôt qu’à des guerriers qui vont acheter une renommée frivole au prix de leur sang.

Au lieu de prendre le chemin qui conduisait directement au camp des Delawares, Magua suivit quelque temps les bords du ruisseau, et alla jusqu’au petit lac artificiel des Castors. Le jour commençait à poindre quand ils entrèrent dans la clairière formée par ces animaux industrieux. Magua, qui avait repris le costume de Huron, portait sur la peau qui lui servait de vêtement, la figure d’un renard ; mais il se trouvait à sa suite un chef qui avait pris pour symbole ou pour totem, le castor ; et passer près d’une communauté si nombreuse de ses amis, sans leur donner quelque marque de respect, c’eût été, suivant lui, se rendre coupable de profanation.

En conséquence, il s’arrêta pour leur adresser un discours, comme s’il eût parlé à des êtres intelligents et en état de le comprendre. Il les appela ses cousins ; leur rappela que c’était à sa protection et à son influence qu’ils devaient la tranquillité dont ils jouissaient, tandis que tant de marchands avides excitaient les Indiens à leur ôter la vie ; leur promit de leur continuer ses bonnes grâces, et les exhorta à en être reconnaissants. Il leur parla ensuite de l’expédition pour laquelle il partait, et leur fit entrevoir, quoique avec de délicates circonlocutions, qu’il serait à propos qu’ils inspirassent à leur parent une partie de la prudence pour laquelle ils étaient si renommés[1].

  1. Ces harangues adressées à des animaux sont fréquentes chez les Indiens ; ils en font aussi souvent à leurs victimes, leur reprochant leur poltronnerie ou louant leur courage, selon qu’elles montrent de la force ou de la faiblesse dans les souffrances.