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Il parla alors de leurs besoins, des présents qu’ils avaient droit d’attendre en récompense de leurs services, de la distance où ils se trouvaient des forêts dans lesquelles ils chassaient ordinairement, et il leur fit sentir la nécessité, dans des circonstances si critiques, de recourir à l’adresse plutôt qu’à la force.

Quand il s’aperçut que tandis que les vieillards donnaient des marques d’approbation à des sentiments si modérés, les jeunes guerriers les plus distingués par leur bravoure fronçaient le sourcil, il les ramena adroitement au sujet qu’ils préféraient. Il dit que le fruit de la prudence qu’il recommandait serait un triomphe complet. Il donna même à entendre qu’avec les précautions convenables leur succès pourrait entraîner la destruction de tous leurs ennemis, de tous ceux qu’ils avaient sujet de haïr. En un mot, il mêla les images de guerre aux idées d’adresse et de ruse, de manière à flatter le penchant de ceux qui n’avaient du goût que pour les armes, et la prudence de ceux dont l’expérience ne voulait y recourir qu’en cas de nécessité, et à donner aux deux partis un motif d’espérance, quoique ni l’un ni l’autre ne comprît encore bien clairement quelles étaient ses intentions.

L’orateur ou le politique qui est en état de placer les esprits dans une telle situation manque rarement d’obtenir une grande popularité parmi ses concitoyens, quelque jugement que puisse en porter la postérité. Tous s’aperçurent que Magua n’avait pas dit tout ce qu’il pensait, et chacun se flatta que ce qu’il n’avait pas dit était conforme à ce qu’il désirait lui-même.

Dans cet heureux état de choses, l’adresse de Magua réussit donc complètement, et rien n’est moins surprenant quand on réfléchit à la manière dont les esprits se laissent entraîner par un orateur dans une assemblée délibérante. Toute la peuplade consentit à se laisser guider par lui, et confia d’une voix unanime le soin de diriger toute cette affaire au chef qui venait de parler avec tant d’éloquence pour proposer des expédients sur lesquels il ne s’était point expliqué d’une manière très intelligible.

Magua avait alors atteint le but auquel tendait son esprit astucieux et entreprenant. Il avait complètement regagné le terrain qu’il avait perdu dans la faveur de ses concitoyens, et il se voyait placé à la tête des affaires de sa nation. Il se trouvait, par le fait, investi du gouvernement, et tant qu’il pourrait maintenir sa popularité, nul monarque n’aurait pu jouir d’une autorité plus despo-