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mement à son pouvoir surnaturel, tous, en cette occasion, l’écoutèrent avec une profonde attention. Lorsqu’il eut fini sa courte histoire, le père de la femme malade s’avança, et raconta à son tour ce qu’il avait fait et ce qu’il avait vu dans le cours de la soirée, et ces deux récits donnèrent aux idées une direction plus fixe et plus juste ; on jugea que l’individu qui s’était emparé de la peau d’ours du jongleur avait joué le principal rôle dans cette affaire, et l’on résolut de commencer par aller visiter la caverne pour voir ce qui s’y était passé, et si la prisonnière en avait aussi disparu.

Mais au lieu de procéder à cette visite en foule et en désordre, on jugea à propos d’en charger dix chefs des plus graves et des plus prudents. Dès que le choix en eut été fait, les dix commissaires se levèrent en silence, et partirent sur-le-champ pour se rendre à la caverne, les deux chefs les plus âgés marchant à la tête des autres. Tous entrèrent dans le passage obscur qui conduisait de la porte à la grande grotte, avec la fermeté de guerriers prêts à se dévouer pour le bien public, et à combattre l’ennemi terrible qu’on supposait encore enfermé dans ce lieu, quoique quelques-uns d’entre eux doutassent secrètement du pouvoir et même de l’existence de cet ennemi.

Le silence régnait dans le premier appartement où ils entrèrent ; le feu y était éteint, mais ils avaient eu la précaution de se munir de torches. La malade était encore étendue sur son lit de feuilles, quoique le père eût déclaré qu’il l’avait vue emporter dans le bois par le médecin des hommes blancs. Piqué du reproche que lui adressait le silence de ses compagnons, et ne sachant lui-même comment expliquer cette circonstance, il s’approcha du lit avec un air d’incrédulité et une torche à la main pour reconnaître les traits de sa fille, et il vit qu’elle avait cessé d’exister.

Le sentiment de la nature l’emporta d’abord sur la force d’âme factice du sauvage, et le vieux guerrier porta les deux mains sur ses yeux avec un geste qui indiquait la violence de son chagrin ; mais redevenant à l’instant maître lui-même, il se tourna vers ses compagnons, et leur dit avec calme :

— La femme de notre jeune frère nous a abandonnés. Le grand Esprit est courroucé contre ses enfants.

Cette triste nouvelle fut écoutée avec un profond silence, et en ce moment on entendit dans l’appartement voisin une espèce de bruit sourd dont il aurait été difficile d’expliquer la nature. Les