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le jeune major, quand il se sentit frapper doucement sur l’épaule par derrière. Il se retourna en tressaillant pour voir qui les interrompait ainsi, et il rencontra les yeux du farouche Magua, brillant d’une joie infernale. S’il avait obéi à son premier mouvement, il se serait précipité sur le sauvage, et aurait hasardé toutes ses espérances sur l’issue d’un combat à mort. Mais il était sans armes, et le Huron avait son couteau et son tomahawk ; il ignorait s’il n’avait pas quelques compagnons à sa portée, et il ne devait pas risquer de laisser sans défenseur celle qui lui devenait en ce moment plus chère que jamais, et ces réflexions lui firent abandonner un projet qui n’était inspiré que par le désespoir.

— Que me voulez-vous encore ? dit Alice en croisant les bras sur sa poitrine, et cherchant à cacher l’angoisse de la crainte qui la faisait trembler pour Heyward, sous l’air de froideur hautaine avec lequel elle recevait toujours les visites du barbare qui l’avait enlevée à son père.

L’Indien regarda Alice et Heyward d’un air menaçant, sans interrompre un travail dont il s’occupait déjà, et qui consistait à amonceler devant une porte par laquelle il était entré, différente de celle par où Duncan était arrivé, de lourdes caisses et d’énormes souches, que malgré sa force prodigieuse il semblait avoir peine à remuer.

Heyward comprit alors de quelle manière il avait été surpris, et se croyant perdu sans ressource, il serra Alice contre son cœur, regrettant à peine la vie, s’il pouvait arrêter sur elle ses derniers regards. Mais Magua n’avait pas le projet de terminer si promptement les souffrances de son nouveau prisonnier. Il voulait seulement élever une barricade suffisante devant la porte pour déjouer les efforts que pourraient faire les deux captifs, et il continua son travail sans jeter sur eux un second regard, jusqu’à ce qu’il l’eût entièrement terminé. Le major, tout en soutenant entre ses bras Alice, dont les jambes pliaient sous elle, suivait des yeux tous les mouvements du Huron ; mais il était trop fier et trop courroucé pour invoquer la pitié d’un ennemi à la rage duquel il avait déjà échappé deux fois, et il savait d’ailleurs que rien n’était capable de le fléchir.

Lorsque le sauvage se fut assuré qu’il avait ôté aux captifs tout moyen d’évasion, il se tourna vers eux, et leur dit en anglais :

— Les Visages-Pâles savent prendre l’adroit castor dans des