Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il semblait pourtant que l’humeur de l’animal eût changé tout à coup : il ne grondait plus, ne donnait plus aucun signe de colère, et au lieu de conserver son mouvement régulier de droite à gauche, tout son corps velu semblait agité par quelque étrange convulsion intérieure. Il porta ses pattes de devant sur sa tête, sembla la secouer avec force, et pendant qu’Heyward regardait ce spectacle avec un étonnement qui le rendait immobile, cette tête tomba à ses pieds, et il vit paraître celle de l’honnête et brave chasseur, qui se livrait de tout son cœur à sa manière silencieuse de rire.

— Chut ! dit tout bas Œil-de-Faucon, prévenant une exclamation de surprise qui allait échapper à Duncan ; les coquins ne sont pas bien loin, et s’ils entendaient quelques sons qui n’eussent pas un air de sorcellerie, ils nous tomberaient sur le dos.

— Mais dites-moi ce que signifie cette mascarade, et pourquoi vous avez risqué une démarche si hasardeuse.

— Ah ! le hasard fait souvent plus que le raisonnement et le calcul. Mais comme une histoire doit toujours commencer par le commencement, je vous raconterai tout dans l’ordre. Après votre départ, je mis le commandant et le Sagamore dans une vieille habitation de castors, où ils ont moins à craindre les Hurons que s’ils étaient au milieu de la garnison d’Édouard, car nos Indiens du nord-ouest n’ayant pas encore beaucoup de relations avec vos commerçants, continuent à avoir du respect pour les castors. Après cela, Uncas et moi nous sommes partis, comme cela était convenu, pour aller reconnaître l’autre camp. — Et à propos, l’avez-vous vu ?

— À mon grand chagrin. Il est prisonnier, et condamné à périr demain à la pointe du jour.

— J’avais un pressentiment que cela finirait par là, dit le chasseur d’un ton moins gai et moins confiant. Mais reprenant bientôt son accent naturellement ferme, il ajouta : — Et c’est la vraie raison qui fait que vous me voyez ici ; car comment se résoudre à abandonner aux Hurons un si brave jeune homme ! Comme les coquins seraient joyeux s’ils pouvaient attacher dos à dos au même poteau le Cerf-Agile et la Longue-Carabine, comme ils m’appellent ! Et cependant je ne puis m’imaginer pourquoi ils m’ont donné un pareil surnom, car il y a autant de différence entre mon tueur de daims et une vraie carabine du Canada qu’entre la pierre à fusil et la terre à pipes.