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quoique ses tentatives pour imiter la mélodie de David eussent cessé dès que celui-ci avait renoncé à la partie. Le peu de mots que La Gamme avait adressés à Heyward ayant été prononcés en anglais, n’avaient été compris que de lui seul. — Elle vous attend ! — Elle est ici ! — Ces mots devaient avoir un sens caché ; il portait ses regards sur tous les coins de l’appartement, et n’y voyait rien qui pût servir à éclairer ses doutes.

Il n’eut qu’un instant pour se livrer à ses conjectures, car le chef huron, s’avançant près du lit de la malade, fit signe au groupe de femmes de se retirer. La curiosité les avait amenées pour assister aux conjurations du médecin étranger ; cependant elles obéirent, quoique fort à regret, et dès que l’Indien eut entendu le bruit sourd de la porte qu’elles fermaient en se retirant, il se tourna vers Duncan.

— Maintenant, lui dit-il, que mon frère montre son pouvoir !

Interpellé d’une manière aussi formelle, Heyward craignit que le moindre délai ne devînt dangereux. Recueillant donc ses pensées à la hâte, il se prépara à imiter cette sorte d’incantation et ces rites bizarres dont se servent les charlatans indiens pour cacher leur ignorance ; mais dès qu’il voulut commencer, il fut interrompu par l’ours, qui se mit à gronder d’une manière effrayante. Il fit la même tentative une seconde et une troisième fois, et la même interruption se renouvela et devint chaque fois plus sauvage et plus menaçante.

— Les savants sont jaloux, dit le Huron ; ils veulent être seuls ; je m’en vais. — Mon frère, cette femme est l’épouse d’un de nos plus braves guerriers ; chassez sans délai l’esprit qui la tourmente. — Paix ! dit-il à l’ours qui continuait à gronder ; paix ! je m’en vais.

Il tint sa parole sur-le-champ, et Duncan se trouva seul dans le creux d’un rocher avec une femme mourante et un animal redoutable. Celui-ci semblait écouter le bruit des pas de l’Indien avec l’air de sagacité d’un ours. Enfin le bruit que fit la porte annonça qu’il était aussi sorti de la caverne. Alors l’ours s’avança lentement vers Heyward, et lorsqu’il en fut à deux pas, il se leva sur ses pattes de derrière, et se tint debout devant lui, dans l’attitude que prendrait un homme. Duncan chercha des yeux de tous côtés pour voir s’il trouverait quelque arme pour se défendre contre une attaque qu’il attendait alors à chaque instant, mais il n’aperçut pas même un bâton.