Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heyward, vous vous méprenez sur le lieu où il peut exister quelque danger. Si les ennemis sont déjà arrivés sur le portage, ce qui n’est nullement probable puisque nous avons des éclaireurs en avant, ils se tiendront sur les flancs du détachement pour attaquer les traîneurs et ceux qui pourront s’écarter. La route du corps d’armée est connue, mais la nôtre ne peut l’être, puisqu’il n’y a pas une heure qu’elle a été déterminée.

— Faut-il nous méfier de cet homme parce que ses manières ne sont pas les nôtres, et que sa peau n’est pas blanche ? demanda froidement Cora.

Alice n’hésita plus, et donnant un coup de houssine à son narrangaset[1], elle fut la première à suivre le coureur et à entrer dans le sentier étroit et obscur, où à chaque instant des buissons gênaient la marche. Le jeune homme regarda Cora avec une admiration manifeste, et laissant passer sa compagne plus jeune, mais non plus belle, il s’occupa à écarter lui-même les branches des arbres pour que celle qui le suivait pût passer avec plus de facilité. Il paraît que les domestiques avaient reçu leurs instructions d’avance, car au lieu d’entrer dans le bois, ils continuèrent à suivre la route qu’avait prise le détachement. Cette mesure, dit Heyward, avait été suggérée par la sagacité de leur guide, afin de laisser moins de traces de leur passage, si par hasard quelques sauvages canadiens avaient pénétré si loin en avant de l’armée.

Pendant quelques minutes le chemin fut trop embarrassé par les broussailles pour que les voyageurs pussent converser ; mais lorsqu’ils eurent traversé la lisière du bois, ils se trouvèrent sous une voûte de grands arbres que les rayons du soleil ne pouvaient percer, mais où le chemin était plus libre. Dès que le guide reconnut que les chevaux pouvaient s’avancer sans obstacle, il prit une marche qui tenait le milieu entre le pas et le trot, de manière à maintenir toujours à l’amble les coursiers de ceux qui le suivaient.

  1. Narrangaset. Dans l’État de Rhode-Island il y a une baie appelée Narrangaset, portant le nom d’une puissante tribu qui habitait autrefois ces rivages. Ce pays abondait autrefois en chevaux bien connus en Amérique sous le nom de Narrangaset. Ils étaient petits et d’une couleur appelée ordinairement sorrel (alezan, saure) en Amérique. Ils se distinguaient par leur pas. Les chevaux de cette race étaient et sont encore recherchés comme chevaux de selle, à cause de leur sobriété et de l’aisance de leur allure. Comme ils ont aussi le pied très sûr, les narrangasets étaient généralement recherchés pour servir de monture aux femmes qui étaient obligées de voyager parmi les racines et les trous des nouveaux-pays.