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parcourir le chemin de la justice sans s’arrêter pour manger.

— Deux de mes guerriers sont à la poursuite de votre compagnon, reprit le vieux chef sans paraître faire attention à la bravade d’Uncas ; quand ils seront revenus, la voix des sages du conseil vous dira : — Vivez ! ou mourez !

— Les Hurons n’ont-ils donc pas d’oreilles ? s’écria le jeune Mohican. Depuis qu’il est votre prisonnier, le Delaware a entendu deux fois le son d’un fusil bien connu. Vos deux guerriers ne reviendront jamais.

Un silence de quelques minutes suivit cette déclaration hardie qui faisait allusion au fusil d’Œil-de-Faucon. Duncan, inquiet de cette taciturnité subite, avança la tête pour tâcher de voir sur la physionomie des sauvages quelle impression avait faite sur leur esprit ce que venait de dire son jeune ami ; mais le chef reprit la parole en ce moment, et se contenta de dire :

— Si les Lenapes sont si habiles, pourquoi un de leurs plus braves guerriers est-il ici ?

— Parce qu’il a suivi les pas d’un lâche qui fuyait, répondit Uncas, et qu’il est tombé dans un piège. Le castor est habile, et pourtant on peut le prendre.

En parlant ainsi, il désigna du doigt le Huron solitaire tapi dans un coin, mais sans lui accorder d’autre attention qu’un regard de mépris. Ses paroles, son geste, son regard, produisirent une forte sensation parmi ses auditeurs. Tous les yeux se tournèrent à la fois vers l’individu qu’il avait désigné, et le murmure sourd qui se fit entendre arriva jusqu’à la foule de femmes et d’enfants attroupés à la porte, et tellement serrés qu’il n’y avait pas entre eux une ligne d’espace qui ne fût remplie.

Cependant les chefs les plus âgés se communiquaient leurs sentiments par quelques phrases courtes, prononcées d’une voix sourde, et accompagnées de gestes énergiques. Un long silence s’ensuivit encore, grave, précurseur, comme le savaient tous ceux qui étaient présents, du jugement solennel et important qui allait être prononcé. Les Hurons placés en arrière se soulevaient sur la pointe des pieds pour satisfaire leur curiosité ; et le coupable lui-même, oubliant un instant la honte qui le couvrait, releva la tête avec inquiétude, pour lire dans le regard des chefs quel était le sort qui l’attendait. Enfin le vieux chef, dont nous avons si souvent parlé, se leva, passa près d’Uncas, s’avança vers le Huron