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Une longue pause s’ensuivit ; une gravité imperturbable régnait sur tous les visages, et pas un geste, pas un clin d’œil n’indiquait quelle impression cette observation pouvait avoir faite. Duncan, qui savait que le don de se taire était une vertu chez les sauvages, résolut d’en donner lui-même un exemple, et il profita de cet intervalle pour mettre de l’ordre dans ses idées.

Enfin le même guerrier qui lui avait déjà adressé la parole lui demanda d’un ton sec, et en employant le patois français du Canada :

— Quand notre père, le grand monarque, parle à son peuple, se sert-il de la langue du Huron ?

— Il parle à tous le même langage, répondit Heyward ; il ne fait aucune distinction entre ses enfants, n’importe que la couleur de leur peau soit rouge, blanche ou noire ; mais il estime particulièrement ses braves Hurons.

— Et de quelle manière parlera-t-il, continua le chef, quand on lui présentera les chevelures qui, il y a cinq nuits, croissaient sur les têtes des Yengeese[1] ?

— Les Yengeese étaient ses ennemis, dit Duncan avec un frissonnement intérieur, et il dira : Cela est bon, mes Hurons ont été vaillants, comme ils le sont toujours.

— Notre père du Canada ne pense pas ainsi. Au lieu de regarder en avant pour récompenser ses Indiens, il jette les yeux en arrière. — Il voit les Yengeese morts, et ne voit pas les Hurons. — Que veut dire cela ?

— Un grand chef comme lui a plus de pensée que de langue. Il jette les yeux en arrière pour voir si nul ennemi ne suit ses traces.

— Le canot d’un ennemi mort ne peut flotter sur l’Horican, répondit le Huron d’un air sombre. Ses oreilles sont ouvertes aux Delawares qui ne sont pas nos amis, et ils les remplissent de mensonges.

— Cela peut être. Voyez, il m’a ordonné, à moi qui suis un homme instruit dans l’art de guérir, de venir parmi ses enfants les Hurons rouges des grands lacs, et de leur demander s’il y en a quelqu’un de malade.

Un second silence, aussi long et aussi profond que le premier,

  1. Les Yenguis, les Anglais.