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Il traça sur son front cette ligne que les Indiens sont accoutumés à regarder comme le symbole d’un caractère cordial et joyeux. Il évita avec soin tous les traits qui auraient pu indiquer des dispositions belliqueuses, et dessina sur ses joues des figures fantastiques, qui travestissaient le militaire en bouffon. Les gens de cette humeur n’étaient pas un phénomène chez les Indiens ; et comme Duncan était déjà suffisamment déguisé par le costume qu’il avait pris en partant du fort Édouard, il y avait certainement quelque raison de se flatter, qu’avec la connaissance parfaite qu’il avait du français, il pourrait passer pour un jongleur de Ticonderoga faisant une ronde parmi les peuplades alliées.

Quand on jugea que rien ne manquait à la peinture, le chasseur lui donna beaucoup d’avis et d’instructions sur la manière dont il devrait se conduire parmi les Hurons ; ils convinrent des signaux, et de l’endroit où ils se rejoindraient en cas de succès de part et d’autre, enfin rien ne fut oublié de ce qui pouvait contribuer à la réussite de l’entreprise.

La séparation de Munro et de son jeune ami fut douloureuse. Cependant le colonel parut s’y soumettre avec une sorte d’indifférence, qu’il n’aurait jamais montrée si son esprit se fût trouvé dans sa situation ordinaire, et que son accablement ne l’eût pas emporté sur son naturel cordial et affectueux.

Le chasseur, tirant alors à part le major, l’informa de l’intention où il était de laisser le vétéran dans quelque retraite sûre, sous la garde de Chingachgook, tandis qu’Uncas et lui chercheraient à se procurer quelques renseignements sur la tribu d’Indiens qu’ils avaient de bonnes raisons pour croire des Delawares. Lui ayant ensuite renouvelé le conseil qu’il lui avait déjà donné de consulter principalement la prudence dans tout ce qu’il croirait devoir dire ou faire, il finit par lui dire d’un ton solennel, mêlé d’une sensibilité dont Duncan fut profondément touché :

— Et maintenant, major, que Dieu vous inspire et vous protège ! Vous avez montré une ardeur qui me plaît ; c’est un don qui appartient à la jeunesse, et surtout quand elle a le sang chaud et le cœur brave. Mais croyez-en les avis d’un homme à qui l’expérience a appris que ce qu’il vous dit est la pure vérité : vous aurez besoin de tout votre sang-froid, et d’un esprit plus subtil que celui qu’on peut trouver dans les livres pour déjouer les ruses d’un Mingo et maîtriser sa résolution. Que Dieu veille sur vous ! Mais enfin,