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naient à leur entreprise dangereuse, celle de suivre la marche d’une armée nombreuse qui se retirait.

Les effets que produisait sur chacun d’eux le spectacle horrible qui se présentait à leur vue presque à chaque pas, variaient suivant le caractère des individus qui composaient cette petite troupe. Celui qui marchait en avant jetait un coup d’œil furtif sur les victimes mutilées qu’il rencontrait en traversant légèrement la plaine, craignant de laisser apercevoir les émotions naturelles qu’il éprouvait, mais encore trop jeune pour résister à leur soudaine impulsion. L’autre Indien se montrait fort au-dessus d’une telle faiblesse. Il marchait à travers les groupes de cadavres d’un pas ferme et assuré, et avec un air si calme qu’il était facile de voir qu’il était depuis longtemps familiarisé avec de pareilles scènes.

Les sensations produites par ce spectacle sur l’esprit des trois blancs avaient aussi un caractère différent, quoiqu’elles fussent également douloureuses. L’un, dont le port martial, les cheveux blancs et les rides annonçaient, en dépit du déguisement qu’il avait pris, un homme habitué depuis longtemps aux suites affreuses de la guerre, ne rougissait pas de gémir tout haut quand les traces d’une cruauté plus ordinaire frappaient ses regards. Le jeune homme qui était à son côté frémissait d’horreur, mais semblait se contenir par ménagement pour son compagnon. Celui qui, marchant derrière eux, semblait former l’arrière-garde, paraissait seul se livrer sans contrainte et sans réserve à tous les sentiments qu’il éprouvait. Le spectacle le plus révoltant ne faisait pas mouvoir un seul de ses muscles ; il le considérait d’un œil sec, mais en indiquant par des imprécations et des malédictions l’horreur et l’indignation dont il était transporté.

Dans ces cinq individus le lecteur a sans doute déjà reconnu les deux Mohicans, leur ami blanc Œil-de-Faucon, le colonel Munro et le major Heyward. C’était un père qui cherchait ses enfants, avec le jeune homme qui prenait un si puissant intérêt à toute cette famille, et trois hommes qui avaient déjà donné tant de preuves de bravoure et de fidélité dans les circonstances cruelles que nous avons rapportées.

Quand Uncas, qui continuait à marcher en avant, fut à peu près à mi-chemin entre la forêt et les ruines de William-Henry, il poussa un cri qui attira sur-le-champ ses compagnons près de lui. Il venait d’arriver à l’endroit où les femmes sans défense avaient