Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’apercevoir ces touffes solitaires de verdure qui avaient échappé à ses ravages, il ne laissait voir que trop distinctement les masses de rochers arides qui s’élevaient presque tout autour de la plaine, et l’œil aurait en vain cherché un aspect plus doux dans le firmament, dont l’azur était dérobé à la vue par les vapeurs épaisses qui flottaient dans l’air avec rapidité.

Le vent était pourtant inégal ; tantôt il rasait la surface de la terre avec une sorte de gémissement sourd qui semblait s’adresser à la froide oreille de la mort, tantôt, sifflant avec force dans les hautes régions de l’air, il pénétrait dans les bois, brisait les branches des arbres et jonchait le sol de leurs feuilles. Des corbeaux, luttant contre la fureur du vent, étaient les seules créatures vivantes qui animassent ce désert ; mais dès qu’ils avaient dépassé dans leur vol le vert océan des forêts, ils s’abattaient sur le lieu qui avait été une scène de carnage pour y chercher une horrible pâture.

En un mot, tous les environs offraient une scène de désolation. On aurait dit que c’était une enceinte dont l’entrée était interdite à toutes les personnes, et où la mort avait frappé tous ceux qui s’étaient permis de la violer. Mais la prohibition n’existait plus, et pour la première fois depuis le départ de ceux qui avaient commis et laissé commettre cette œuvre de sang et de carnage, des êtres humains osaient s’avancer vers cette scène épouvantable.

Dans la soirée du jour dont nous parlons, environ une heure avant le coucher du soleil, cinq hommes sortaient du défilé qui conduisait à travers les bois sur les bords de l’Hudson, et s’avançaient dans la direction du fort ruiné ; D’abord leur marche était lente et circonspecte, comme si c’eût été avec répugnance qu’ils se fussent approchés de cette scène d’horreur, ou qu’ils eussent craint de la voir se renouveler. Un jeune homme leste et agile marchait en avant des autres avec la précaution et l’activité d’un naturel du pays, montant sur toutes les hauteurs qu’il rencontrait pour reconnaître les environs, et indiquant par ses gestes à ses compagnons la route qu’il jugeait le plus prudent de suivre. De leur côté, ceux qui le suivaient ne manquaient ni de prudence ni de vigilance. L’un d’eux, et c’était aussi un Indien, se tenait à quelque distance sur le flanc, et fixait sans cesse sur la lisière du bois voisin des yeux accoutumés à distinguer le moindre signe qui annonçât la proximité de quelque danger. Les trois autres étaient des blancs, et ils avaient pris des vêtements dont la couleur et l’étoffe conve-