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farouche, elle sentait qu’elle éprouvait une sorte de soulagement en cessant d’avoir sous les yeux le spectacle affreux que présentait la plaine. Elle monta à cheval, et étendit les bras vers sa sœur avec un air si touchant, que le Huron n’y fut pas insensible. Ayant donc placé Alice sur le même cheval que sa sœur, il en prit la bride et s’enfonça dans les profondeurs de la forêt.

David, regardé probablement comme un homme qui ne valait pas le coup de tomahawk qu’il aurait fallu lui donner pour s’en défaire, s’apercevant qu’on le laissait seul sans que personne songeât à lui, jeta une de ses longues jambes par-dessus la selle du cheval qui restait, et, toujours fidèle à ce qui lui paraissait son devoir, suivit les deux sœurs d’aussi près que le permettaient les difficultés du chemin.

Ils commencèrent bientôt à monter ; mais comme le mouvement du cheval ranimait peu à peu les facultés d’Alice, l’attention de Cora, partagée entre sa tendre sollicitude pour sa sœur et les cris qu’elle entendait encore pousser dans la plaine, ne lui permit pas de remarquer de quel côté on les conduisait. Mais, en arrivant sur la plate-forme d’une montagne qu’on venait de gravir, elle reconnut l’endroit où un guide plus humain l’avait conduite quelques jours auparavant comme en un lieu de sûreté. Là, Magua leur permit de mettre pied à terre, et, malgré la triste captivité à laquelle elles étaient elles-mêmes réduites, la curiosité, qui semble inséparable de l’horreur, les porta à jeter un coup d’œil sur la scène lamentable qui se passait presque sous leurs pieds.

L’œuvre de mort durait encore. Les Hurons poursuivaient de toutes parts les victimes qu’ils n’avaient pas encore sacrifiées, et les colonnes de l’armée française, quoique sous les armes, restaient dans une apathie qui n’a jamais été expliquée, et qui laisse une tache ineffaçable sur la réputation de leur chef. Les sauvages ne cessèrent de frapper que lorsque la cupidité l’emporta sur la soif du sang. Peu à peu les cris des mourants et les clameurs des assassins furent étouffés sous le cri général de triomphe que poussèrent les sauvages[1].

  1. Le nombre des combattants qui périrent dans cette malheureuse affaire varie depuis cinq jusqu’à quinze cents.