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— Monstre ! s’écria-t-elle, c’est toi qui es l’auteur de cette scène horrible !

— Magua est un grand chef ! répondit-il d’un air de triomphe. Eh bien ! la fille aux cheveux noirs veut-elle le suivre dans sa peuplade ?

— Non, jamais ! répondit Cora avec fermeté. Frappe ! si tu le veux, et assouvis ton infernale vengeance !

Il porta la main sur son tomahawk, hésita un instant, et, comme par un mouvement subit, saisissant entre ses bras le corps inanimé d’Alice, il prit sa course du côté des bois.

— Arrêtez ! s’écria Cora en le poursuivant les yeux égarés ; arrêtez, misérable ! Laissez cette enfant ! Que voulez-vous donc faire ?

Mais Magua était sourd à sa voix, ou plutôt il voyait quelle influence exerçait sur elle le fardeau dont il s’était chargé, et il pouvait profiter de cet avantage.

— Attendez ! jeune dame, attendez ! s’écria David ; le saint charme commence à opérer, et vous verrez bientôt cet horrible tumulte s’apaiser.

S’apercevant à son tour qu’il n’était pas écouté, le fidèle David suivit la sœur désespérée, en commençant un nouveau cantique qu’il accompagnait, suivant son usage, du mouvement de son long bras, levé et baissé alternativement. Ils traversèrent ainsi le reste de la plaine, au milieu des mourants et des morts, des bourreaux et des victimes. Alice, portée dans les bras du féroce Huron, ne courait en ce moment aucun danger ; mais Cora aurait plus d’une fois succombé sous les coups de ses barbares ennemis sans l’être extraordinaire qui s’était attaché à ses pas, et qui semblait alors, aux yeux des sauvages étonnés, doué d’un esprit de folie qui faisait sa protection.

Magua, qui connaissait les moyens d’éviter les dangers les plus pressants et d’éluder toutes poursuites, entra dans les bois par une petite ravine, où l’attendaient les deux chevaux que les voyageurs avaient abandonnés quelques jours auparavant, et qu’il avait trouvés. Ils étaient gardés par un autre sauvage dont la physionomie n’était pas moins sinistre que la sienne. Jetant en travers sur l’un d’eux le corps d’Alice, encore privée de sentiment, il fit signe à Cora de monter sur l’autre.

Malgré l’horreur qu’excitait en elle la présence de cet homme