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plades sauvages devait se maintenir par des concessions plutôt que par l’autorité, lui tendit la main, quoique avec répugnance. Magua la saisit, et plaçant un doigt du général français sur une cicatrice profonde au milieu de sa poitrine, il lui demanda d’un ton de triomphe :

— Mon père sait-il ce que c’est que cela ?

— Quel guerrier pourrait l’ignorer ? C’est la marque qu’a laissée une balle de plomb.

— Et cela ? continua l’Indien en lui montrant son dos nu ; car il n’avait alors d’autre vêtement qu’une ceinture et ses mocassins.

— Cela ?

— Mon fils a reçu une cruelle injure.

— Qui a fait cela ?

— Magua a couché sur un lit bien dur dans les wigwams des Anglais, et ces marques en sont le résultat.

Le sauvage accompagna encore ces paroles d’un sourire amer, mais qui ne cachait pas sa férocité barbare. Enfin, maîtrisant sa fureur, et prenant l’air de sombre dignité d’un chef indien, il ajouta :

— Allez ; apprenez à vos jeunes guerriers qu’ils sont en paix ! Le Renard-Subtil sait ce qu’il doit dire aux guerriers hurons.

Sans daigner prononcer un mot de plus, et sans attendre une réponse, Magua mit son fusil sous son bras, et reprit en silence le chemin qui conduisait dans la partie du bois où campaient ses compatriotes. Tandis qu’il traversait la ligne des postes, plusieurs sentinelles lui crièrent : Qui vive ? mais il ne daigna pas leur répondre, et il n’eut la vie sauve que parce que les soldats le reconnurent pour un Indien du Canada, et qu’ils savaient quelle était l’opiniâtreté intraitable de ces sauvages.

Montcalm resta quelque temps sur le lieu où son compagnon l’avait laissé, absorbé dans une méditation mélancolique, et songeant au caractère indomptable que venait de déployer un de ses alliés sauvages. Déjà sa renommée avait été compromise par une scène horrible, dans des circonstances semblables à celle dans laquelle il se trouvait alors. Au milieu de pareilles idées, il sentit bien vivement de quelle responsabilité se chargent ceux qui ne sont pas scrupuleux sur le choix des moyens pour parvenir à leur but, et combien il est dangereux de mettre en mouvement un instrument dont on n’a pas le pouvoir de maîtriser les effets.

Bannissant enfin des réflexions qu’il regardait comme une faiblesse dans un tel moment de triomphe, il retourna vers sa tente ;