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CHAPITRE XVI


Mais avant de combattre ouvrez donc cette lettre.
ShakspeareLe Roi Lear.


Munro était seul avec ses deux filles lorsque le major entra dans son appartement. Alice était assise sur un de ses genoux, et ses doigts délicats s’amusaient à séparer les cheveux blancs qui tombaient sur le front de son père. Cette sorte d’enfantillage fit froncer le sourcil du vétéran ; mais elle ramena la sérénité sur son front en y appuyant ses lèvres de rose. Cora, toujours calme et grave, était assise près d’eux, et regardait le badinage de sa jeune sœur avec cet air de tendresse maternelle qui caractérisait son affection pour elle.

Au milieu des plaisirs purs et tranquilles dont elles jouissaient dans cette réunion de famille, les deux sœurs semblaient avoir oublié momentanément, non seulement les dangers qu’elles avaient si récemment courus dans les bois, mais même ceux qui pouvaient encore les menacer dans une forteresse assiégée par une force si supérieure. On eût pu croire qu’elles avaient voulu profiter de cet instant de trêve pour se livrer à l’effusion de leurs plus tendres sentiments, et tandis que les filles oubliaient leurs craintes, le vétéran lui-même, dans ce moment de repos et de sécurité, ne songeait qu’à l’amour paternel.

Duncan, qui, dans l’empressement qu’il avait de rendre compte de sa mission au commandant, était entré sans se faire annoncer, resta une minute ou deux spectateur immobile d’une scène qui l’intéressait vivement et qu’il ne voulait pas interrompre ; mais enfin les yeux actifs d’Alice virent son image dans une glace placée devant elle, et elle se leva en s’écriant :

— Le major Heyward !

— Eh bien ! qu’avez-vous à en dire ? lui demanda son père sans changer de position ; il est à présent à jaser avec le Français dans son camp, où je l’ai envoyé.