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foule de barques voguant sur la surface du lac étaient remplies d’officiers et de soldats de l’armée des assiégeants, qui goûtaient tranquillement les plaisirs de la pêche ou de la chasse.

Cette scène était en même temps paisible et animée. Tout ce qui y appartenait à la nature était plein de douceur et d’une simplicité majestueuse, et l’homme y mêlait un agréable contraste de mouvement et de variété…

Deux petits drapeaux blancs étaient déployés, l’un à l’angle du fort le plus voisin du lac, l’autre sur une batterie avancée du camp de Montcalm, emblème de la trêve momentanée qui suspendait non seulement les hostilités, mais même l’animosité des combattants. Un peu en arrière, on voyait flotter les longs plis de soie des étendards rivaux de France et d’Angleterre.

Une centaine de jeunes Français, aussi gais qu’étourdis, tiraient un filet sur le rivage sablonneux du lac, à portée des canons du fort, dont l’artillerie gardait alors le silence : des soldats s’amusaient à divers jeux au pied des montagnes, qui retentissaient de leurs cris de joie ; les uns accouraient sur le bord du lac pour suivre de plus près les diverses parties de pêche et de chasse, les autres gravissaient les hauteurs pour avoir en même temps sous les yeux tous les différents traits de ce riant tableau. Les soldats en faction n’en étaient pas même spectateurs indifférents, quoiqu’ils ne relâchassent rien de leur surveillance. Plusieurs groupes dansaient et chantaient au son du tambour et du fifre, au milieu d’un cercle d’Indiens que ce bruit avait attirés du fond d’un bois, et qui les regardaient avec un étonnement silencieux. En un mot, tout avait l’aspect d’un jour de plaisir plutôt que d’une heure dérobée aux fatigues et aux dangers d’une guerre.

Duncan contemplait ce spectacle depuis quelques minutes, et se livrait aux réflexions qu’il faisait naître en lui, quand il entendit marcher sur le glacis en face de la poterne dont nous avons déjà parlé. Il s’avança sur un angle du bastion pour voir quels étaient ceux qui s’en approchaient, et vit arriver Œil-de-Faucon, sous la garde d’un officier français. Le chasseur avait l’air soucieux et abattu, et l’on voyait qu’il se sentait humilié et presque déshonoré, par le fait qu’il était tombé au pouvoir des ennemis. Il ne portait plus son arme favorite, son tueur-de-daims, comme il l’appelait, et il avait même les mains liées derrière le dos avec une courroie. Des drapeaux blancs avaient été envoyés si souvent pour couvrir quelque